Premier atelier : LOTO PORTRAIT
Moi, aux origines lointaines qui invitent aux voyages,
A travers des pays pleins de saveurs et d’exotisme que surplombe un ciel sans nuages.
Moi, aux cheveux tantôt ardoise tantôt café, aux coiffes parfois mutines,
Variant mes tenues au gré de mes humeurs et de mon entourage,
Ouvrant grand mes yeux à la fois mûris par l’âge
Et à la fois amplis de tendresse presque enfantine,
Voyant à l’horizon un brouillard indélébile, avenir indéfini.
Moi, sensible, à l’écoute des gazouillis de la vie,
Quêtant le moindre parfum qui embaume ce bas monde pas toujours serein.
Moi, Virginie, face rieuse, face grave, clarté obscurcie,
Je vous tends la main.
Deuxième atelier : Je me souviens du cadavre exquis
Phrases produites en commun
Et de sa Gibson lumineuse au son métallique.
(je me souviens du questionnement de la véracité de la conquête de la lune par les Américains : complot ou fait réel.
Mais de notre jeunesse révolutionnaire nous avons glissé vers le « boboïsme ».
Que l’homme au pull-over rouge a été le dernier à être guillotiné.
Nous étions en quelque sorte dans un monde parallèle, irréel.
Un alignement de mouettes piailleuses qui semblaient nous narguer, nous pauvres bipèdes…
Je me souviens de notre rencontre
Je me souviens des cris du ramoneur et du rémouleur
Je me souviens de la destruction de mon immeuble de la Courneuve pendant qu’on édifiait la cité métissée du Mirail.
De mon premier baiser à l’ombre des marronniers par une chaude soirée d’été.
Texte
Tous les souvenirs disparaîtront.
Je me souviens de la Cité du Mirail après son édification. Cité métissée, colorée, interculturelle qui offrait quelques lieux de promenade avec son lac, ses parcs et jardins, cité où s’érigeait la faculté du Mirail, abritant en son sein la jeunesse révolutionnaire accusée à tort ou à travers de glisser vers le « boboïsme ».
Je me souviens des revues d’histoire, acquises malgré mes faibles économies d’enfant grâce aux quelques sous gardés précieusement de côté ; ces revues m’ont marquée parfois plus que les cours appris sur les bancs de l’école, telle l’image de ce dernier condamné à mort par guillotine, un homme vêtu d’un pull-over rouge.
Je me souviens de notre rencontre imprévue et imprévisible lorsque la chaleur de l’été a fait place au vent faufilant dans les arbres qui s’effeuillaient de leur parure, de ton baiser, un baiser volé non pas par une chaude soirée d’été à l’ombre des marronniers mais par une soirée d’hiver enveloppée des sons métalliques d’une guitare lumineuse, peut-être une Gibson... C’était un baiser à peine appuyé, cependant, ancré dans ma mémoire comme toutes premières fois.
Je me souviens de nos croisières en goélette aux abords de ces récifs escarpés où s’alignaient des mouettes piailleuses, presque nargueuses. Nous n’avions pas fière allure, nous, pauvres bipèdes !…Ou encore de nos escapades dans les régions rurales de France encore conservatrices des métiers d’antan, ramoneur ou encore rémouleur.
Mais, aujourd’hui…
La Cité du Mirail a perdu de son hospitalité. Plus de lieux de promenade : partout et n’importe où on trouve tags et détritus. Crimes et délits sont ses lots quotidiens. Les abstentionnistes d’aujourd’hui ont remplacé les réactionnaires d’hier.
Des revues « intelligentes », posant des questionnements, notamment sur la véracité de la conquête de la lune par les Américains, sont là pour nous éclairer ou nous perdre davantage.
L’habitude, ce « comme d’habitude » que chantonnait Claude François, a envahi insidieusement notre amour.
Les métiers d’antan semblent appartenir désormais à un monde parallèle, irréel.
Troisième atelier : j'ai vingt ans sur la photo
J’ai 20 ans sur cette photographie en noir et blanc prise au lendemain des fiançailles d’une de mes sœurs.
Ma nièce également âgée d’une vingtaine d’année, douée dans le maniement d’un appareil photographique, trouvant que j’étais particulièrement radieuse la veille, me propose de me photographier.
Avec agitations, nous nous interrogeons : Où pourrait-on la prendre cette photo ?. Après quelques hésitations, nous tombons d’accord sur l’emplacement : devant la glace dans la chambre à coucher de mes sœurs aînées .
Les bras ballants et vêtue d’une robe noire capuchonnée, me voilà fixant le miroir. Mais cette pose contemplative me turlupine, elle me fait penser à Narcisse admirant son propre reflet. Aussitôt, essayant d’amoindrir cette image narcissique, j’entreprends de chercher « un prétexte » qui expliquerait ma présence devant ce miroir. Trouvant aux alentours une trousse de maquillage, je l’ouvre pour en sortir un pinceau puis un poudrier. C’est alors, poudrier dans une main et pinceau dans l’autre, que je pose, prenant un air absorbé et le moins apprêté possible.
Clic, clac, je suis figée à jamais en noir et blanc sur papier mat. Au premier plan, vue de dos, ma chevelure épaisse mi-longue, ma main gauche levée et ma main droite tenant un poudrier. Au second plan, le reflet de mon visage, photographié de bas en haut accentue mes yeux bridés ordinairement arrondis, vus de face. Derrière, on peut voir un grand sac en nylon au-dessus d’une bibliothèque blanche en colonne. On voit également l’ampoule lumineuse et le système de branchement que mon père, bricoleur, a installé sommairement : le fil électrique passe devant le miroir, s’y faufile derrière pour redescendre le long du mur. Ceci, relayé au second plan, ne gâche en rien la photographie.
La photographie, au final, assez réussie pour la jeune photographe amatrice, représente un cadeau pour moi. Elle remémore un moment de complicité partagé avec une parente. Un de ces moments agréables qu’on aime passer, qu’on ait 20 ans ou plus.
Huitième atelier
LE POISSON ROUGE
Le matin, au sortir de ce rêve agité, je m’éveillai transformée en poisson.
C’est pas croyable !. Ca alors !. Mère avait concocté la veille pour père son plat favori : une fricassée de poissons dont j’en avais encore gardé les saveurs venues d’Asie…Et moi qui adorais nager, je ne pensais pas carrément me métamorphoser un beau matin en poisson rouge !.
Plus de bras, plus de jambes, à la place des nageoires de toute part, dorsale, caudale, anale…Mon corps était recouvert d’écailles rouges, couleur symbolique dans ma culture…la culture chinoise. Cette robe couleur vermillon me sciait à merveille. Ma robe écarlate faisait l’objet d’admirations. J’étais, par ailleurs, le seul animal dans ce sweet home à part le soit-disant Homo Sapiens. Je ondulais à chacun de mes mouvements : mon corps était devenu souple, rien à voir avec la raideur habituelle dont j’étais sujette, moi qui éprouvait le besoin de m’étirer, de pratiquer du stretching. Je frétillais de plaisir, lovée par la douceur de l’eau limpide, régulièrement renouvelée de mon aquarium.
Journellement, mon grand-père venait me voir pour me nourrir, me parler, me conter ses histoires d’une autre époque, d’une autre vie. J’aurais voulu m’exprimer verbalement aussi de mon côté. Mais, seules des bulles muettes s’échappaient de ma bouche entrouverte. J’entendais et voyais les va-et- vient de mon père, de ma mère, de mes frères et de mes sœurs, vacant à leurs besognes quotidiennes, interminables. Peu à peu, cette couleur si remarquable finissait par me procurer une certaine gêne. J’aurais voulu me confondre parmi les quelques algues artificielles qui peuplaient mon habitacle.
J’avais à manger, à boire à profusion, j’avais l’essentiel. Cependant, j’aspirais parfois au grand air, à la liberté voire également à remonter à la source.
Ateliers 9 et 10 : le texte intense
Le pot de fleurs
… Chez mes parents, lorsque j’étais enfant, ce pot de fleurs en terre, en argile cuite, couleur rouge brique unie, en état de bonne conservation, sur une étagère conçue et recouverte d’une couche de vernis vermillon brillant par mon père, bricoleur à ses heures perdues, acquis à un prix dérisoire, ce pot contenant des œillets rouges ou fuchsias, peut-être… Je n’en suis plus aussi sûre, cela remonte à tant d’années en arrière, à mon enfance ; j’avais alors 9-10 ans… Ce pot ne demandait qu’à être admiré, contemplé et ces fleurs qui le décoraient, à être bichonnées par des arrosages quotidiens et un terreau riche en fertilisants… Ce pot placé dans le vestibule, près de la porte d’entrée, accueillait fréquemment des invités, mes parents recevant pas mal à l’époque ; ce pot assistait également aux va-et-vient de mes frères et sœurs, nombreux eux-aussi, huit en tout, de mon grand-père, de mon père et de ma mère… Ce pot était installé là car il servait aussi bien de décoration que d’offrande, parce que comme tout bon taoïste, nous vénérons le culte des ancêtres et plaçons, selon certaines familles, soit à l’entrée, soit au salon, un autel de couleur rouge en hommage aux ancêtres, autel garni de fleurs, fruits, gobelets en plastique ou en porcelaine de Chine, ornés d’arabesques, remplis de thé et, de friandises de toute sorte… Ce pot avait peu de compagnie : le vestibule dont le plancher était tapissé d’un lino à la texture « bois », ne tolérait que la présence d’une penderie, sorte d’arbre métallique à plusieurs branches où étaient accrochés des vestes, manteaux, sacs et bérets qu’affectionnaient mon paternel et son père… Ce pot voyait passer lentement le temps, des matins clairs et lumineux aux soirs obscurs et mystérieux… Mais, un après-midi, un bruit retentit, un bruit sec et sourd et, le pot vient se fracasser parterre… Les deux gamins que nous étions, mon frère, mon aîné d’un an et tendre compagnon de jeux depuis toujours et moi, étions passés par là – nous retrouvant seuls, nous avions entamé une partie de football plutôt animée et périlleuse… Du pied de mon frère, le ballon s’était élancé un peu trop vivement et avait touché le pauvre pot qui perdant son équilibre à atterrir de façon lamentable sur le plancher… Gardant son sang froid, à l’esprit vif, mathématique et ingénieux, mon frère avait recollé les morceaux et remis le pot à sa place - il n’avait pas été grondé par ma mère… La fois suivante, ce pot, cassé en plus petits morceaux par moi, n’avait pu être recollé ; il n’avait pas eu la même chance… Et moi non plus d’ailleurs…