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8 mars 2011 2 08 /03 /mars /2011 11:49

 Texte de Corinne P.

 

Pas saccadés,

 Sac à main en bandoulière,

 Je me balade.

 Un badaud m'agresse:

 Pris la main dans le sac!

 Dès demain, saccager son audace !

 

 Comme celle de la chatte têtue,

Tête en l'air,

L'air noiraud,

Qui s'affale sur le châle poilu.

Nom d'un chat !

Faut la châtier !

 

Déni d'autorité et déni de silence !

Reniflements, sifflements....

Je mens si j'y consens! Crie ou renie !

 

Ma vieille, t'es à côté de la plaque !

Un plaqueminier côte à côte avec un cocotier:

Pourquoi ne pas plaquer une noix sur un kaki!

 

Et faire comme si,

Comme si ce que j'écris était stylé,

Laid ou beau. Bof! Je m'en fous. Ou pas...

 

Pas saccadés,

Sac à main en bandoulière,

Je me balade.

 

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19 février 2011 6 19 /02 /février /2011 11:36

Texte de Corinne P.

 

Les enfants adorent; les miens, ceux des autres... Chaque fois que l'on se réunit pour un repas de famille, ils en réclament. Lorsque je n'ai pas le temps ou le courage de faire mon gâteau au chocolat, en aucun cas, une forêt noire achetée chez un pâtissier ne saurait le remplacer. La preuve en est: je mange alors de la forêt noire toute la semaine.

Tout a commencé autour d'une table à la campagne. Une fin de repas sous l'ombre d'un vieux saule: la fraîcheur de l'air ravivait les rires. Des cris d'enfants suffisamment lointains pour ne pas interférer nous laissaient sereines tandis que nous sirotions un dernier verre de Saint Emilion. Le temps s'étirait et l'instant du dessert approchait: un gâteau au chocolat apporté par Chantal activa nos papilles et notre curiosité. L'ambiance était chaleureuse, la transmission entre copines de recettes séculaires procurait un plaisir clanique. On trouvait vite une feuille, un crayon gris et Chantal nota consciencieusement, en commentant:

 

  •  
    • Une plaquette chocolat noir 250 grs (personne ne la reprit)

    • Beurre 250 grs

    • Sucre 250 grs

    • 50 grs Farine

    • 6 œufs

    • Poudre d'amande 50 grs

 

Aujourd'hui les enfants ont grandi, et nous continuons à nous retrouver sous le vieux saule. Pour la nième fois, j'ai confectionné mon gâteau, en relisant ce papier un peu chiffonné, maculé de taches translucides. Devant une tablée de personnes conquises, c'est aujourd'hui mon tour de commenter cette recette avec laquelle j'ai pris quelques libertés.

 

Il faut commencer par tout rassembler. Avant d'entreprendre la confection même, les ingrédients sont conditionnés, prêts à se rendre utiles. Le chocolat, marque choisie à minima 70% de cacao, est réduit en carré pour un futur bain-marie. Les œufs préférentiellement de ferme sont dissociés en jaunes et blancs. Cette tache mille fois accomplie est toujours un challenge. Le reste est pesé, dans l'attente d'être appareillé.

Incorporer 200 grammes de sucre à 200 grammes de beurre. J'ai pris la liberté de diminuer les proportions. Le « trop sucré » écœure et le « trop beurré » peut poser des limites quant aux parts que l'on s'autorise à découper. C'est toujours pareil avec le trop. Mieux vaut l'éviter. Le beurre est ramolli en pommade, grâce à un petit détour au micro ondes: 30 secondes, pas une de plus. Ultime écart aux préconisations de Chantal: je laisse tomber les amandes. Pourtant l'élève a rattrapé le maître comme elle me l'avouera plus tard. Une reconnaissance de ses pairs agit comme un exhausteur de goût.

 

Faire fondre le chocolat au bain-marie : jolie formule référence gardée à l'alchimiste Marie la juive qui vécut en Alexandrie au IIIème siècle avant notre ère. Sur le gaz, la petite casserole est posée en équilibre dans la grande. Une spatule en bois permet de remuer, jusqu'à obtenir une masse fluide à l'éclat soyeux. Après qu'elle ait légèrement refroidi, on l'incorpore au mélange beurre-sucre. Avec un chocolat quelconque la pâte prendrait un aspect granuleux comme si elle refroidissait trop vite et se prenait en masse. Ici comme dans toutes circonstances la qualité prévaut. La cuisine est une alchimie subtile.

 

Ajouter ensuite les jaunes d'œuf : leur couleur soutenue tranche avec l'ambré du chocolat. Ce jaune soleil n'est pas sans évoquer celui dégoulinant le long du muret de pierres sèches qui entourait la ferme où nous nous rendions, ma sœur et moi, pour acheter nos œufs. La fermière nous en donnait toujours un ou deux de plus, au cas où l'un d'eux ne serait plus mangeable. Il faut dire que parmi les œufs ramassés chaque jour aux quatre coins des granges, certains pouvaient être oubliés et découverts longtemps après avoir été pondus. Riches de ces œufs surnuméraires, nous décidions d'en éclater un contre un mur. Nous voulions observer l'effet produit par la masse visqueuse explosant hors de sa coquille. L'espace de quelques instants, nous retenions notre souffle dans la crainte de voir s'écraser l'embryon d'un poussin insuffisamment couvé. D'un geste rapide comme volé à l'innocence, nous accomplissions notre forfait, se jurant de le garder secret. Nous savions notre geste grave dans un environnement où l'on refusait de jeter le moindre morceau de pain à la fin d'un repas, comme aux temps de disettes ancestrales.

 

Verser en pluie cinq cuillères à soupe rases de farine, ingrédient que je manipule sans grand plaisir. Il épaissit tant la pâte qu'elle devient difficile à travailler mais il faut pourtant tourner longtemps... Alors je change de bras, maudissant la tendinite qui m'handicape depuis des mois. Tout ça pour avoir ramassé les feuilles du jardin pendant des heures. Décidément, il est trop étendu mon jardin! On a parfois des velléités de grandeur qui se révèlent tôt ou tard envahissantes.

 

Un demi sachet de levure à incorporer dans l'onctueux mélange chocolaté. Je me souviens de l'erreur commise gamine – je devais avoir 10 ans – lorsque j'ai ajouté de la levure à une mousse au chocolat. La crème travestie était posée sur le rebord de la baignoire dans la salle de bain servant de pièce réfrigérée. Je jetais régulièrement un coup d'œil en espérant voir la crème doubler de volume, bref, faire ce qu'était sensé produire la levure. Dans mon inconscience, j'avais cru pouvoir corriger le faible volume des blancs battus en neige manuellement. Cette erreur m'a poursuivie, un reproche fait à moi-même qui a sans doute contribué à me détourner de tout attachement culinaire.

Monter les blancs en neige. Lorsque je cuisine, la radio est allumée. Entrelardé entre deux émissions, Hervé This, le cuisto chimiste explique comment savoir si les blancs sont suffisamment fermes: retourner au dessus de la tête le récipient contenant la douce neige. Rien ne tombe, rien ne frémit, la récompense est là. Pas compliqué: l'ovalbumine, protéine du blanc d'œuf va être déstructurée par le battement du fouet et donner cette sorte d'émulsion nuageuse, de l'air s'incorporant entre les chaînes protidiques. On y tremperait volontiers le doigt avant de le porter à la bouche. Promesse de plaisir rapidement déçue par la légère âpreté du blanc d'œuf. En avez vous déjà gouté?

 

Ajouter les blancs en neige au mélange chocolaté. Méthodiquement, les retourner sans les casser. Expression énigmatique s'il en ait: comment peut-on casser une texture aérifère alors que dans le pire des cas elle redevient légèrement visqueuse? Ah! les mots, leur exactitude, leur finitude, leur signification fluctuant en fonctions des circonstances. Comment s'approprier une langue dans ces moindres subtilités? Un lexique des termes culinaires serait le bienvenu!

 

Enfin, verser la pâte dans le moule beurré à bords cannelés. Celui ci doit être assez profond, sans trop, de façon à ce que le gâteau ne cuise pas à cœur. Selon un mouvement ondulatoire, la masse chocolatée tombe mollement dans le récipient en terre cuite. Une légère secousse des poignets finit de bien répartir la pâte dans le récipient en terre que je m'apprête à enfourner: 200°C pendant 10 minutes, puis 10 minutes supplémentaires à four entr'ouvert. C'est bien la seule recette que je connaisse qui demande de cuire dans un four ouvert.

 

Et voici le meilleur pour la fin: le plat à nettoyer ! Si les enfants ne sont pas là, c'est moi qui ai ce privilège. Je lèche avec plaisir mon doigt maculé de crème soyeuse, seule, en toute intimité.

 

Texte de Christian L. 

 

Ce soir, tout doit être parfait pour la recevoir.

Je me prépare depuis une semaine.

J’ai passé toute une nuit dans la neige à les attendre. Quand elles sont arrivées, elles se sont détachées sur le ciel d’hiver sans nuages. Une est restée au sol après le coup de feu.

Ses soubresauts soulevaient la neige quand je me suis approché. Ses yeux incrédules se sont tournés vers moi. Je l’ai achevée au couteau.

J’ai bien failli me laisser surprendre. Fasciné par la flaque rouge sur la neige, je n’avais pas vu l’aurore apparaître sur les crêtes. Mon fardeau sur les épaules, je suis rentré, avec dans la tête un vieux fabliau français ;

« Je suis fille le jour et la nuit blanche biche

La chasse est après moi, les barons et les princes »

 

Toutes les portes, toutes les fenêtres ont été fermées. Pas un rais de lumière ne doit filtrer. Je vais passer toute la journée … pour cette soirée … pour

 

Le cou de biche au sang.

 

Stanislas annone la recette. Sa voix résonne sous la voute de la cuisine.

« Pren dre une jeu ne bi che … »

 

Cela, je m’en suis chargé. Lui est descendu au village. Il y va rarement. Il n’y a jamais été le bienvenu. Ce jour là, mon argent lui a ouvert les portes :

Des boules de pain, des œufs, du lait, du fromage blanc mais aussi toutes les pâtisseries, toutes les friandises de miel, de noix et d’amandes … et tous ces légumes confits que l’épicier turc garde dans son arrière boutique … avec ses graines de genièvre, sa gelée de groseille, ses épices : poivre, coriandre, cannelle … son vin, son eau de vie de prune … qui peut acheter tout cela au village ?

 

«  Cou per le cou de l’a ni mal » et détacher la tête.


Le rituel vient de commencer. Le sacrifice. Mes mains sont recouvertes de sang : le rouge et le blanc. C’est mon moment de faiblesse, de doutes. Dans ma tête se mêlent les regards de l’animal et les yeux de celle qui viendra ce soir. Confusion des verbes aimer et tuer, s’offrir et dévorer.

« Elle a le cheveu blond et le sein d’une fille

A tiré son couteau en quartier il l’a mise »

 

Parer la selle de la biche, la désosser. Découper sa carcasse aux ciseaux, trancher les cuissots et braiser la viande à feu vif.

 

Dans la cheminée, le feu a brûlé pendant plusieurs heures. Au dessus des braises, je jette les morceaux de viande sur la grille : le rouge et le noir. Comme un alchimiste, je viens d’enclencher la métamorphose, la transmutation. Ce n’est plus le cadavre d’un animal, c’est à nouveau une chaude promesse. Elle n’est plus une étrangère, elle est déjà une passion.

Je rêve, les yeux rivés sur les chenets. Le sang s’écoule sur les briques, se fige, noircit et se craquèle. Et les tâches qui se forment semblent raconter ma vie et mon destin.

« Mon sang est répandu par toute la cuisine.

Et sur ces noirs charbons mes pauvres os y grillent »

 

Préparer la farce : hacher le cœur, le foie, les rognons. Presser les morceaux de viande rôtie, plusieurs fois, et recueillir tout le sang. Ajouter la viande à la farce. La lier avec des œufs, de la mie de pain trempée dans du lait et le sang recueilli.

 

Maintenant je plonge mes mains dans mon œuvre. Je fais corps avec elle. Entre mes doigts, toute la chaleur se glisse. Je suis le Créateur. Qui pourra désormais m’empêcher de la façonner à mon image ?

Un raclement de gorge de Stanislas me tire de mon délire mégalomaniaque.

 

Détacher délicatement la peau du cou en la retournant comme un gant. Introduire la farce. Embosser la peau du cou, coudre les deux extrémités et finir de cuire dans les restes de graisse et de sang de l’animal.

 

Comme dans une symphonie de Tchaïkovski, après le tumultueux crescendo, l’avant dernier mouvement tente une timide valse. Pour nous rassurer. Pour nous persuader de la vérité de notre chemin : elle est devant toi l’œuvre que tu voulais réaliser. Et, l’avant dernier mouvement d’une symphonie de Tchaïkovski nous plonge dans le vide et la peur … du dernier mouvement.

 

Faire caraméliser la gelée de groseille, déglacer à l’eau de vie, puis ajouter les aubergines et les tomates confites … le genièvre et le poivre. Laisser réduire et verser le fond du gibier sur cette réduction et continuer la cuisson jusqu’à l’obtention d’une sauce qui nappera le tout.

 

Vite, il faut rattraper la passion qui fuit, cette chaleur qui me gonflait le cœur et qui semble s’être égarée dans ce dédale d’attentes et de déceptions. Tout n’est pas perdu mais aux grandes évidences du début je ne peux que substituer des émotions compliquées, des plaisirs attendus, des habitudes anesthésiantes.

La nuit s’est à nouveau installée. J’ouvre les fenêtres. D’un revers de main, je me protège de la lumière de la lune. Quelques nuages passent, poussés par le vent d’hiver. Les yeux dans le vague, je suis le vol de quelques chauves-souris. Je me retourne vers la salle … tout est prêt.

Le vin ? Du vin de Moldova, aussi âpre que son sol. Quel millenium … pardon, quel millésime ?

Au centre de la table j’ai déposé l’immense plat. La tête de la biche prolonge son cou glacé dans sa gangue de caramel et de fruits rouges. Les flammes des bougies font vibrer les carafes de vin et d’eau de vie des prunes de l’été. La salle est sombre, seul un halo doré semble promettre et attendre.

Le vent redouble. J’avais à peine entendu les chevaux. Elle est là.

Comment suis-je ? Je passe devant tous les miroirs, mais il est impossible de me recoiffer.

Elle monte les escaliers. Ses talons claquent sur les marches de pierre.

Moi, je pense au dessert et à sa gorge blanche.

 

Texte de Cécile D. 

 

Certains me disent fée, d'autres me déclament magicienne
d'autres encore me nomment Sybille, fantasmagorie, sirène
ou Sorcière.
Certains me trouvent belle à pâlir, d'autres hideuse à vomir,
mais nul ne me surprend telle que je suis vraiment.
Depuis deux millions et demi d'années je fuis
dans cet univers et dans l'autre au gré de mes envies
J’ai connu des contrées que vous ne pourrez imaginer
valsé lors d'orages féroces et de voraces tempêtes
goûté des soleils incessants et des lunes dévorantes
des tornades d'années englouties en un clignement de cils
Et aujourd'hui dans cette même forêt que jadis
Par gros temps et par printemps
je hume les parfums indomptés de ma bien-aimée contrée
je déambule dans les méandres de ses viscères
je vis de son souffle, de ses sursauts, de ses colères,
je m'abreuve de ses soupirs, je grandis dans sa touffeur,
sans cesse, sans cesse, sans cesse.

Ses amertumes j’ai croqué, léché, mâché, dévoré, recraché
chaque goût je garde dans l’infini de mes papilles ensorcelées.
Mais dans mon grimoire une seule recette il  y a,
l’alchimie parfaite
idéale
absolue
sublime
 
du Coq au Vin.
 

 
Toujours je choisis mon précieux, mon or, mon coq
Dès que sa mère poule est en cloque
A sa couleur sa forme et son odeur
L’œuf me dit sa fermeté et sa saveur
Puis pendant huit jours et huit nuits,
Avant que la lune nouvelle ne s’élève
Laisser le glorieux martyr bien au chaud
Entre un Bordeaux et un Beaujolais nouveau.
A l’éclosion le baptiser d’une goutte de rosé
Et rendre à sa mère caqueteuse le coq à venir
Car tout seul il s’engraissera sans coup frémir.
 
Pendant que votre poulet grandit forcit mûrit

Débute de la recette la meilleure partie :
Pour qu’inoubliable votre coq au vin soit
Ne pas hésiter de boire tu dois
Car se cache la clef du succès
Au fond d’une bouteille de Tariquet.
Tariquet, oui, mais de quelle année ?
 
 
Alors prendre courage je dois
Car je bois je bois et je bois
Je sens mes magiques papilles se réveiller
Et ma tête en rythme vibrer
Surtout ne pas s’arrêter, goûter, aspirer, s’imbiber,
Pour trouver le cru inespéré, celui dont c’est la destinée.
Je cours maintenant après mon poulet
Car il est temps de le découper.
Viens mon Petit mon Ami mon Mari,
Que je te cajole te caresse et te berce
Que je te plume te décortique et te dépèce
 
Les plumes volent les pattes s’agitent
Le sang bout le coup palpite
Mon bras vole la hache s’agite
L’eau bout mon ventre palpite.

Je jette les oignons je jette les épices
Et ma tambouille je touille avec délice
Mais les vins que je goûte depuis tant d’années
Me mettent maintenant au supplice de m’en séparer
Adieu mon bon Bourgogne, adieu mon tendre Castillon,
Au revoir mon fragile Lafitte, hélas mon aimé St Emilion
De vous je me souviendrai toujours
Comme mes premiers, mes seuls, mes vrais amours
 
La marmite tressaute les bulles explosent
Les herbes s’entremêlent le bouillon s’impose
Je danse
En transe
Bientôt se terminera mon errance
Quand je me remplirai enfin la panse
 
VINUS VINUS COQUS
DEUS MALIFICARUM

VINUS VINUS COQUS
MAGICUM BONIFICARUM
 
Viens mon Coq viens mon Maître
Dans ton antre dans mon ventre
Qui par le vin taquiné et excité
Une humanité entière pourrait dévorer

 

Texte d'Anne-Lise

 

« Pain dans la vallée du M’goun »

Ingrédients : eau, farine de blé, sel, sueur

 

Le pain, quoi de plus basique ?

Basique oui, mais essentiel, élémentaire, vital.

Quoi qu’il en soit, l’un des plus beaux moments de ma vie, un moment de partage au goût presque biblique.

Si ce n’est que dans mon cas, nous sommes fin avril au Maroc, au fin fond de la vallée du M’goun, en terre berbère.

Cela se passe dans un gîte pour randonneurs, géré par des femmes, pendant que le père fait taxi à la ville, à El Kelaa M’Gouna.

 

Aller cherche de l’eau

L’eau, cet élément si précieux dans ces régions éloignées, se mérite.

Tantôt, les filles, les femmes et les enfants forment un groupe joyeux, rieur pour descendre à la rivière le long d’une pente de plusieurs dizaines de %.

Elles portent avec légèreté des jerricans et des bouteilles en plastique vides. Nous les suivons. Nous croyons lire dans leurs yeux : pourquoi nous suivent-ils, ce n’est pas l’affaire des touristes. Puis vient le moment de remonter la pente, chargés comme des mules.

Tantôt, toujours les mêmes filles et femmes puisent l’eau à bout de bras sans l’un des puits du village. Etant femme, j’ai eu l’honneur de puiser 1 seau d’eau. Quelle force cela nécessite, surtout lorsqu’il faut attraper le seau qui est là, au bord du puits, tout en haut !

 

La farine de blé

Nous comprenons qu’elle provient des prés cultivés en aval du village, le long du M’goun. Durant 3 jours de randonnées qui ont précédé notre arrivée au gîté, nous avons traversé des parcelles cultivées de bé, sur lesquelles un cheval harnaché d’une sorte de charrue et monté d’un fermer, travaillait.

Les grains sont ensuite moulus avec une pierre de meule activée manuellement par les enfants.

Les enfants sont le fil rouge de notre périple : ils sont présents, participent aux travaux de la ferme, de la maison, vont eu à l’école, et pour cause !

 

Le sel

Le sel restera un point d’interrogation. Nous pouvons supposer que le père le ramène de la vaille lors de ses allers retours.

 

 

Il est déjà tard, je ne me souviens plus de son prénom, elle a 16 ans. Elle invite mon compagnon à quitter la cuisine tandis qu’elle m’invite à y rester avec elle. C’est une affaire de femmes qui démarre, et je sens que je vais en être l’actrice, y participer de mes propres mains.

La cuisine est sombre, l’eau est dans les seaux, le four est  à bois, le sol est en terre battue. Nous sommes accroupies. Elle commence à mélanger les ingrédients, les malaxer, les pétrir jusqu’à ensuite étier la pâte comme une immense crêpe. Elle m’invite à faire de même : je mélange, je pétris à mon tour avec plaisir, dans une sorte de communion avec le sol si prêt, la pâte, et la jeune femme qui me guide.

 

Me voilà envahie d’un sentiment d’honneur que cette jeune femme le fait en me faisant participer à un acte aussi essentiel et vital que celui de faire du pain.

Je ne peux m’empêcher en même temps de penser au parcours réalisé et à venir de ma compagne. Elle a 16 ans, est l’aînée de cette famille, ne va pas à l’école. Ses parents ont prévu son mariage avec un garçon du village l’année suivante. A la question « l’aimes-tu ? », la réponse n’est pas si franche, plutôt évasive, le regard tourné vers la terre battue. Quel concept bizarre que de se marier par pour l’amour ?!

Vient le temps de la cuisson dans ce four à bois alimenté au fur et à mesure par la jeune femme. Là c’est l’odeur qui envahit ma mémoire, pas tant celle du pain que celle du bois et de la terre au sol.

 

Puis arrive le moment du repas, au menu duquel, le pain, ce soir là, occupe dans mon cœur, mon esprit  et mon palais, le premier rang.

 

 

Texte de Renaud

 

Le 27/03, 10 jours avant le jour de Pâques

 

Horreur ! Me voici au pied du mur. Quelle idée de faire ce pari idiot ? Cela se passa à Noël dernier : le repas familial terminé je m'apprêtais à apporter ma contribution habituelle à l'œuvre collective, principalement féminine, quand quelqu'un de mal attentionné m'interpella : « on t'a jamais vu préparer un repas de famille, toi, ...depuis le temps ...» alors que je quittais la salle à manger en ignorant superbement la remarque  j'entendis dans mon dos «  et je parie que ça n'arrivera jamais ». Je fis demi-tour, je répondis sèchement, les interjections fusèrent, je fus mis sur la sellette, ma participation traditionnelle à participer via la vaisselle fut vilipendée, je me défendis avec arrogance, on me lança le défi de préparer le prochain repas de famille (« c'est le plus simple de l'année » dit-on en rigolant!), je dis « je suis prêt à relever le défi à condition que je prenne tout en charge », on me dit « chiche », je dis « pari tenu » ...et me voilà, pauvre de moi, au pied du mur. Nous sommes le 27 mars et le repas familial traditionnel de Pâques aura lieu dans 10 jours. Nous serons dix. Je suis plongé dans un livre de cuisine, emprunté discrètement à la médiathèque du village. Pauvre de moi. Je n'ai jamais cuisiné et je suis obligé de compulser ce livre pour m'imprégner de la recette du plat que d'aucun déclare si enfantin à réaliser que même moi, le néophyte, pourra le faire les yeux fermés : un gigot d'agneau aux flageolets. Le plat familial de Pâques. Je n'aime pas les flageolets. Je vais changer de recette. Je tourne les pages du livre. Je pense aux 9 autres. Je n'aime pas les flageolets mais j'aime le gigot d'agneau. Je tombe sur la recette de l' « épaule d'agneau aux 10 légumes ». Exit les flageolets. Bonjour les légumes.

 

Le 04/04, 2 jours avant Pâques

 

Ces derniers jours, j'ai décliné plusieurs propositions d'aide pour préparer le repas de Pâques. J'ai promis de le préparer seul et je le ferai.  Je fais fi du scepticisme ambiant. Me procurer la viande fut une épopée. D'abord je mis du temps à réaliser que je ne trouverais jamais une épaule d'agneau du poids que je voulais (il m'en fallait une d'environ 3 Kg) ; en effet l'agneau est un animal trop jeune (5 à 6 mois) pour donner une telle épaule. Devais-je en prendre 2 ou fallait-il que j'achète une épaule de mouton, prélevée, elle, sur l'animal adulte, mais à la chair moins tendre et moins fine que l'agneau ? J'allais à plusieurs boucheries et j'essayai de me faire une idée en comparant la chair rouge vif d'un agneau à celle, sensiblement plus foncée, du mouton. J'observai avec attention la palette et j'essayais de comparer celle de l'épaule à celle du mouton. Quelle était la meilleure boucherie des alentours ? Si je prenais deux épaules d'agneau n'aurais-je pas des difficultés à les faire rentrer dans le four ? Saurais-je bien les « contiser » ? Serais-je capable de les faire cuire le temps qu'il fallait et de la même façon ?  Comment reconnaître, à l'œil, qu'une épaule arrivait à cuisson ? J'en fus arrivé à faire un cauchemar : coincé dans un espace réduit je me trouvais accroupi, comme tétanisé, nez à nez avec un mouton rigolard, quand une sensation bizarre de chaleur, d'abord légère et diffuse, se mit à augmenter de plus en plus jusqu'à  que je réalise que le mouton rigolard, en réalité, me surveillait, moi qui cuisait à sa place dans le four. Heureusement tout ça c'est fini. L'épaule de mouton (tant pis si c'est moins bon, ce sera moins risqué à faire cuire que les deux épaules) se trouve depuis hier dans le frigidaire.

 

Je reviens du marché. Acheter les légumes fut plutôt facile : après avoir tourné autour de quelques étals, ma liste à la main, sans pouvoir me décider où acheter, je fus interpellé par une marchande exubérante qui m'interpellant avec faconde, réussit à ce que je lui remette ma liste et à remplir illico presto mon panier, faisant bon poids à chaque légume, vantant son origine et sa fraicheur, parlant avec d'autres personnes tout en m'interrogeant avec impudeur sur ma vie et me laissant, quelques minutes plus tard, plutôt satisfait, finalement, d'avoir fait mes courses aussi facilement. Je vide maintenant le panier sur la table : blettes, fenouil, oignons, pommes de terres, aubergines, poivrons, courgettes, tomates, champignons, gousses d'ail. Le compte est bon. 10 convives. 10 légumes, qui ne me paraissent pas aussi beaux que quand je les ai achetés.

 

Le 06/04- Jour de Pâques

 

Je suis seul à la cuisine. Je m'attaque à la recette. J'ai demandé à ne pas être dérangé. Chacun a accepté avec ravissement ma requête de me laisser seul à la maison ; tout le monde est parti se promener jusqu'au moment de mettre la table, en fin de matinée.

 

1/ Pelez et émincez les oignons.

 

Les oignons que j’ai devant moi ne valent pas ceux de tante Gilberte. Ceux qu'elle cultivait avec amour étaient roses, ronds, gros, délicats et tendres. Et en plus ils ne faisaient pas pleurer (parait-il). Voilà ce que nous racontera tout à l'heure  mon cousin Benoît, le fils de tante Gilberte (paix à son âme), la mine toute émue. Les oignons que j'ai devant moi ne valent pas tripette. Ils sont petits, secs et rabougris. Et je me mets en plus à pleurer à chaudes larmes à peine ai-je commencé à les peler. Je vais chercher les autres légumes et les amoncelle sur la table.

 

2/ Nettoyez les feuilles de blettes et les champignons, épluchez et émincez grossièrement les pommes de terre, coupez les fenouils et les tomates en quartiers, écraser les gousses d'ail.

 

C'est là que je regrette d'avoir abandonné les flageolets. Nettoyer, couper, écraser, émincer ...Je nettoie les légumes les uns après les autres puis je sors du placard la planche à découper et  prends le premier couteau de cuisine venu. Je commence à émincer. Quelle galère ! Le couteau n'est pas le bon : il n’est pas assez tranchant, glisse des doigts de part son manche en plastique inadapté et n'est pas assez lourd. Je balance le couteau dans l'évier. J'essaye de me calmer. Je ré-ouvre le tiroir et cherche le couteau adapté. Trouvé : je saisis le « couteau du chef », offert par l'oncle Albert. Ah, l'oncle Albert ! Le spécialiste de l' «éminçage » des légumes. Je le vois encore nous faire la leçon, nous tous autour de lui : « mettez l'index et le pouce sur le bout du manche, comme ça et repliez les doigts pour éviter de vous les couper. Mettez la pointe du couteau sur la planche, comme ça, un peu plus loin que le légume, le couteau bien au dessus puis effectuez un mouvement de balancier, plus ou moins ample et rapide en fonction des légumes à émincer,  maintenez bien la pointe de couteau sur la planche pour les légumes tout en longueur et surtout maitrisez toujours votre mouvement». Emporté par mon élan (ce n’est pas si compliqué), je me rappelle trop tard la dernière consigne de l'oncle Albert : le couteau affleure mon index gauche ... ouah ! J'ai eu chaud ! Punaise de couteau à la noix (version soft), qui rejoint aussitôt l’autre dans l’évier.

 

3/ Épépinez et taillez les poivrons en lanières, coupez les aubergines en dé et détaillez les courgettes en rondelles

 

Je suis sûr que poivrons et aubergines deviendront un sujet de conversation, car ils feront penser fatalement au fameux plat méditerranéen qui fait partie de la mythologie familiale et dont le souvenir amène anecdote sur anecdote. J'ai participé très longtemps à ces joutes nostalgiques, d'abord avec ardeur, puis avec de plus en plus de mollesse, enfin avec une indifférence teintée d'ironie avant, tout récemment, d’en être exaspéré au point de tenter de ne plus y participer. La conversation me sera donc insupportable. Je découpe ces légumes en tout petits morceaux avec de petits gestes vifs accompagnés d'un grand rire nerveux, qui me fait du bien, afin qu'ils ne soient pas reconnaissables.

 

4/Préchauffer le four

 

« Four à bois, bois de santal, Talleyrand, rang d’oignons, ions d’atomes, tome de Savoie, voie lactée, t’es pas cap... ». Face au four, je me laisse aller à clamer à voix haute la ritournelle qui, depuis bien longtemps, me permet de reprendre mes esprits et de me calmer. Heureusement que mes enfants, en ballade avec les autres convives, ne l’entendent pas, car ils m’auraient demandé immédiatement d’arrêter ça, en prétextant qu’ils avaient assez soupé de cette « ritournelle » quand ils étaient enfants. Les ingrats. Allez, concentrons-nous. Préchauffer un four, heureusement, ce n’est pas sorcier. Quoique ... La recette ne dit pas combien de temps. Bon disons 15 minutes à 200 °C. Mais faut-il compter le temps de chauffe dans ces quinze minutes ? « Mais non cette question n’est pas idiote ! », j’imagine aussitôt une joute oratoire explosive, typique d’un défoulement ciblé. Mais la personne avec laquelle j’exécute (et vice-versa) cet exutoire est également en ballade. Trouvons autre chose : « four à bois, bois de santal, ... ». Je me calme et je me décide de comptabiliser le temps de chauffe dans le temps de préchauffage.

 

5/Huilez la cocotte en fonte ; disposez tous ces légumes dans l’ordre d’épluchage, en couches successives ; salez et poivrez entre chaque couche ; déposez l’épaule d’agneau soigneusement dégraissée par-dessus, couvrez ...

 

Ca devient sérieux. Je lis et relis la recette. Je fais bouillir le jus des légumes et je le réduis sur feu vif jusqu’à ce qu’il soit sirupeux. Je saupoudre les légumes d’un voile de curry. Je fais de petites incisions dans l’ épaule et j’y introduis de l’ail. Je fais frémir le fumet. Stop ! Je reviens sur terre, la recette toujours à la main ! Je la balance à la poubelle et me lance sans filet. Je me mets à faire tout ce qui reste dans un état second. Je ne voie pas le temps passé. L’odeur de mouton empreigne la cuisine et je m’y sens bien. Une bordée de souvenirs me remonte en mémoire. Mais je reste concentré et me refuse d’y plonger. J’avais surestimé le temps passé à préparer le plat principal et sous-estimé celui nécessaire à la réalisation de l’entrée et du dessert (pourtant des plus simples) et au nettoyage de la cuisine.

 

Me voilà maintenant, mes tâches achevées dans les délais, plutôt content de moi, avec mon verre de pastis bien mérité à la main, surpris de me retrouver avec de belles dispositions dans l’attente des convives. Les voici qui reviennent de leur promenade. Le cousin Benoit me lance un regard ironique et me balance un « déjà ! » en regardant ostensiblement mon verre, interjection qui me fait dresser l’épiderme. Puis j’entends « ouah, ça pue le mouton ! Mais tu n’as pas ouvert la fenêtre de la cuisine ! » qui fait éclater mes bonnes résolutions en mille morceaux ! Ca promet ! Je récite dans ma tête : « Four à bois, bois de santal, … »

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