Haïkus de rêves
Durant cet atelier, nous allons travailler à partir des rêves que vous aurez notés préalablement. Notre but sera de réduire ces notations à des haïkus.
Forme poétique courte, le haïku se compose de trois phrases de 5, 7, 5 syllabes (en français), soit une seule ligne en japonais. Il ne comporte pas de rimes. A travers un haïku, le poète ne cherche pas à exprimer, ni à émouvoir, ni à décrire et encore moi à commenter. Il s’agit juste, selon Basho, maître du genre au XVIIe, de « dire simplement ce qui arrive en tel lieu, a tel moment », de saisir l’éphémère d’un instant. Le haïku est un instantanée de petites choses vues ou vécues, de celles que l’on ne remarque pas, banales, voire communes. Il est léger, empreint de délicatesse et produit un effet d’enchantement ou bien de comique. Il met en évidence un détail qui résume le tout et lui donne de la profondeur. Il doit pouvoir être lu en une seule respiration. La syntaxe en est simple, parfois distordue, provoquant un effet d’étrangeté, de singularité, de résonance intérieure… L’emploi d’articles - inexistants en japonais - doit être limité, tout comme l’emploi de verbe, les métaphores, les qualificatifs, les adverbes.
Le haïku décrit indifféremment une, deux ou trois images disposées dans un ordre choisi selon l’effet escompté. Soit :
- Deux ou trois tableaux « parallèles » qui se complètent et se renforcent mutuellement
- Deux images mises en comparaison par l’ajout d’une troisième
- Deux images qui s’opposent à la lecture de la troisième
- Deux images juxtaposées mais réunies par la troisième.
Selon Roland Barthes, « Le haïku s’enroule sur lui-même, le sillage du signe qui semble avoir été tracé s’efface : rien n’a été acquis, la pierre du mot a été jetée pour rien : ni vagues, ni coulée de sens. »
Choix de haïkus
L’éclair
Déchirant la nuit
Le cri du héron
Basho
Petit trou dans la neige
J’ai pissé
Devant la porte
Issa
Cette limonade
sans bulles –
Voilà ma vie
Sumitaku Kenshin
Dans le givre du matin
Les chats
Avancent lentement
Jack Kerouac
La méthode
En préliminaire, lecture d’un choix de haïkus à haute voix.
Première phase de l'atelier
Avant de produire des haïkus à partir des notations de nos rêves personnels, nous allons nous exercer à partir de textes que j’aurai fournis (chansons et poèmes).
La méthode que je propose : repérer dans le texte le mot-saison Kigo (voir ci-dessous pour définition) – nous pourrions dire un mot-charnière ; ensuite, précéder par retranchements pour ne garder que ce qui paraît nécessaire à l’écriture du haïku.
Exemples
Pendant la nuit, de Pierre Reverdy, in Sources du vent
L’horizon est plein de lampes
Théâtre clair
la danse
l’étoile au bout du fil
le poids trop lourd
Le long de la route l’orage court
On sort
On dort
La peur glisse dans le décor
La nuit pousse un soupir et meurt
Contre la glace au fond du lit
La lune me regarde et rit
Le ciel noir devient plus petit
Les ailes frôlent sur le toit
Le vent s’est arrêté plus bas
On n’a cependant rien fait
On n’a rien dit
Les rideaux sont refermés
Les paupières défont leurs plis
Et voilà l’abeille du sommeil
Au bout de l’ombrelle
Haïku tiré de ce poème
Horizon trop noir
La lune soupire et meurt
J'ai peur du sommeil
Rêves, d’André Breton, in Clair de terre
Je passe le soir dans une rue déserte du quartier des Grands-Augustins quand mon attention est arrêtée par un écriteau au-dessus de la porte d’une maison. Cet écriteau c’est : «ABRI » OU « A LOUER », en tout cas quelque chose qui n’a plus cours. Intrigué j’entre et je m’enfonce dans un couloir extrêmement sombre.
Un personnage, qui fait dans la suite du rêve figure de génie, vient à ma rencontre et me guide à travers un escalier que nous descendons tous deux et qui est très long.
Ce personnage, je l’ai déjà vu. C’est un homme qui s’est occupé autrefois de me trouver une situation.
Aux murs de l’escalier je remarque un certain nombre de reliefs bizarres, que je suis amené à examiner de près, mon guide ne m’adressant pas la parole.
Il s’agit de moulages en plâtre, plus exactement: de moulages de moustaches considérablement grossies.
Voici, entre autres, les moustaches de Baudelaire, de Germain Nouveau et de Barbey d’Aurevilly. Le génie me quitte sur la dernière marche et je me trouve dans une sorte de vaste hall divisé en trois parties.
Dans la première salle, de beaucoup la plus petite, où pénètre seulement le jour d’un soupirail incompréhensible, un jeune homme est assis à une table et compose des poèmes. Tout autour de lui, sur la table et par terre, sont répandus à profusion des manuscrits extrêmement sales. Ce jeune homme ne m’est pas inconnu, c’est M. Georges Gabory.
La pièce voisine, elle aussi plus que sommairement meublée, est un peu mieux éclairée, quoique d’une façon tout à fait insuffisante.
Dans la même attitude que le premier personnage, mais m’inspirant, par contre, une sympathie réelle, je distingue M. Pierre Reverdy. Ni l’un ni l’autre n’a paru me voir, et c’est seulement après m’être arrêté tristement derrière eux que je pénètre dans la troisième pièce. Celle-ci est de beaucoup la plus grande, et les objets s’y trouvent un peu mieux en valeur : un fauteuil inoccupé devant la table parait m’être destiné ; je prends place devant le papier immaculé. J’obéis à la suggestion et me mets en devoir de composer des poèmes. Mais, tout en m’abandonnant à la spontanéité la plus grande, je n’arrive à écrire sur le premier feuillet que ces mots : La lumière…
Celui-ci aussitôt déchiré, sur le second feuillet : La lumière… et sur le troisième feuillet : La lumière…
Haïku produit à partir de ce texte
Dans une salle sombre
Papier immaculé sur la table
Et ce mot écrit : Lumière
Deuxième phase de l'atelier
Chacun aura choisi un des rêves qu’il a notés. Il le lira à haute voix.
Ensuite, procéder de la même façon que précédemment, par retranchement, pour reduire ce texte à un haïku.
Lecture à haute voix du poème produit.
Textes de référence
Préface au Livre des rêves de Jack Kerouac
Ce livre n’est qu’une collection de rêves hâtivement transcrits à mon réveil - tous ont été écrits spontanément, d’une seule coulée, comme dans les rêves, parfois avant même d’être tout à fait réveillé - les personnages que j’ai décrits dans mes romans réapparaissent dans ces rêves, en d’étranges situations oniriques et ils se prolongent indéfiniment dans mes récits. Les héros de « Sur la route », « les Souterrains », etc., sont ici de retour et vivent des aventures encore plus singulières, car l’imagination ne désarme jamais, l’esprit vibre, la lune se couche, et tout le monde se cache la tête sous les oreillers avec un bonnet de nuit.
C’est bien car chacun de nous rêve, la nuit, et cela crée une solidarité humaine, voire tacite et cela prouve aussi que le monde est réellement transcendant, ce que les communistes refusent d’admettre car ils croient que leurs rêves sont des « irréalités » et non des visions tirées de leur sommeil.
Je dédie donc ce livre de rêves aux roses de ceux qui vont naître.
Sur le haïku
Basho, l’un des maîtres du genre, a fixé des règles strictes et précises pour la composition du haïku : le rythme 5-7-5, les kiréji (mots de césure qui, en japonais, ponctuent chaque groupe de syllabes comme un arrêt sur image, la présence indispensable du mot-saison (kigo). On lui doit aussi la définition des principes qui ont gouverné le haïku tout au long de son histoire : sincérité, légèreté, objectivité, tendresse à l’endroit des créatures vivantes, mais aussi simplicité, sérénité, solitude, et beauté dépouillée en accord avec la nature, et enfin – élément primordial qui sous-tend toute la philosophie du genre – juste équilibre en le principe d’éternité et l’irruption d’une événement éphémère ou trivial.
Floraison spontanée d’une évidence, le haïku se découpe d’ordinaire sur la toile de fond d’un mot-saison (kigo). Ce mot-clé marque l’importance que les Japonais accordent aux circonstance, toujours uniques, dues à un lien prédestiné qui unir les êtres et les choses. […] Le haïku s’offre toujours comme une salutation (aisatsu), un hommage au moment présent.
En contrepoint à l’émotion fugitive du haïku, le kigo marque le durable de l’univers. On compte ainsi […] quelques milliers d’expressions ou mots-saisons, à partir desquels les haïkistes façonnent leurs poèmes. Ces recueils, ces glossaires répertorient tout les mots exprimant l’essence – le « parfum » - de la saison et les classent selon plusieurs catégories évocatrices : les moments de la saison, les phénomènes du ciel, le paysage, les activités humaines, la faune et la flore.
Volonté d’ordonnancement du monde, souci d’exactitude esthétique, qui apparaissent comme une constante spécifique, intime du génie japonais. Comme s’il fallait un moment précis pour chaque chose, chaque geste, pour chaque pensée. Pour aiguiser la sensation, affiner le regard, ajuster la perception.
Extrait de Anthologie du poème court japonais,
par Corinne Atlan et Zéno Bianu,
Poésies / Gallimard