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8 mars 2011 2 08 /03 /mars /2011 11:49

 Texte de Corinne P.

 

Pas saccadés,

 Sac à main en bandoulière,

 Je me balade.

 Un badaud m'agresse:

 Pris la main dans le sac!

 Dès demain, saccager son audace !

 

 Comme celle de la chatte têtue,

Tête en l'air,

L'air noiraud,

Qui s'affale sur le châle poilu.

Nom d'un chat !

Faut la châtier !

 

Déni d'autorité et déni de silence !

Reniflements, sifflements....

Je mens si j'y consens! Crie ou renie !

 

Ma vieille, t'es à côté de la plaque !

Un plaqueminier côte à côte avec un cocotier:

Pourquoi ne pas plaquer une noix sur un kaki!

 

Et faire comme si,

Comme si ce que j'écris était stylé,

Laid ou beau. Bof! Je m'en fous. Ou pas...

 

Pas saccadés,

Sac à main en bandoulière,

Je me balade.

 

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23 février 2011 3 23 /02 /février /2011 11:25

   C’est sérieux, mais il est bien d’en rire  

 

Nous partirons de la moisson que je vous avais demandée de faire lors du précédent atelier.  Elle consistait à noter des petits faits anodins, toutes idées sans importance, qui vous passeraient par la tête. Il s’agissait donc d’accorder du sérieux à des idées que d’habitude vous négligez, rejetez, oubliez …

A partir de ces notations, nous allons constituer ensemble un corpus commun de mots, d’expressions, de formulations, de mots. Chacun puisera ensuite dans ce corpus qui devra alimenter le texte à venir.

 

L’idée est de travailler sur les mots et leurs sonorités, les mots et leur polysémie, leur polyphonie. On pourra avoir recours à différentes opérations :

tronquer les mots (principe de l’apocope*,  l’aphérèse*, l’élision* ) ou bien les déformer, y ajouter des syllabes, les découper, les tronçonner, procéder à des glissement phonétiques ou sémantiques ;

procéder à des mutations sonores, des coupures, des collages, des permutations ;

employer des calembours, des interjections, des gros mots ;

chercher des mots aux sonorités approchantes ou composés avec les mêmes lettres, des mêmes syllabes.

 

Ce travail sur les mots et le texte se traduira par un travail sur le rythme, les sonorités, la musique, plus que sur le sens. Finalement, les effets recherchés seront : comique, humour, dérision

 

AUTEURS DE REFERENCE :

 

Ghérasim Luca

  Né à Bucarest en 1913, Ghérasim Luca fut très tôt en contact avec plusieurs langues, en particulier le français, langue de la culture littéraire. Durant les années trente, qui sont ses années de formation, la culture germanique, viennoise et berlinoise, est très présente à Bucarest. Il lit les philosophes allemands et connaît les débats qui nourrissent la réflexion sur la psychanalyse. Il collabore à différentes revues « frénétiques » d’orientation surréaliste.

 

A son travail sur la langue, roumaine ou française, avec ses effets de bégaiement, il faut ajouter la mise en scène de ses écrits et le travail de tout le corps que représentait pour lui la lecture publique de ses écrits.

     Dans son œuvre, le langage se trouve simultanément déconstruit et recomposé (Héros-limite, 1953). Par le moyen d’opérations physiques sur le langage, Luca respire une vibration évidente mais pourtant insoupçonnée logée dans les structures verbales. Le poème quitte l’écrit, et s’oralise, se visualise. s’affirme la tendance à sortir du langage, à transgresser le mot par le mot, et le réel par le possible.

 

 

Jean-Pierre Verheggen

 

Jean-Pierre Verheggen, poète belge, a participé dans les années 1970 à la célèbre revue TXT, avant-garde radicale de l’entreprise « textuelle ». Entre humour et dérision, sa poésie est une poésie orale, un incessant remaniement de la langue qui avec calembours, dérision et trivialité ne manque pas de truculence ni d’humour.

 

L’Alphabet des lettres françaises de Belgique définit ainsi sa poésie :

 

« … avant tout une parodie de la poésie, une critique radicale de l’idéologie que véhicule ce genre et un pastiche burlesque de ses conventions. À partir de là, il développe dès 1968 le concept de réécriture et en applique les effets à des champs d’investigation plus larges, allant de la bande dessinée à la langue politique la plus stéréotypée, en passant par la perversion d’un langage par un autre, en l’occurrence du français classique et scolaire par son wallon maternel, sauvage et sexuel »

 

 

Extrait de la revue « Le matricule des anges »

 

Entre provocations et trivialités, le lettré Verheggen dégage une puissance verbale peu ordinaire. Ses zuteries appartiennent à la grande tradition de la gauloiserie sauvage.

Loin de la poésie poétisante, Verheggen n’est pas un chichiteux. Sa poétique, il la situe entre « Eschyle Zavatta » et les « indiens dakota qui toujours marchèrent Dakoté d’leur syntaxe ».

La poésie naît là « Dans cette gaucherie apparente ! Dans cette maladresse géniale ». Il suffit d’une « Leçon d’inattention » et, peut-être, d’une « Leçon de pésie » (sic) pour oser les gros mots (tous) et les blagues de tout calibre (fine, demi-grosse, grosse) dignes de requinquer les dépressifs et de gondoler les autres, tout en satisfaisant les cérébraux. Le tour de force est là. Les amateurs d’intertextualité (en voilà un gros mot) se repaîtront, par exemple, du clin d’oeil aux Litanies du scribe de Jude Stefan ou à l’Opéra bouffe de Maurice Roche.

[…] Il y a chez Verheggen un débraillé cochon qui confine à la provocation. Ainsi de sa passion pour les mots les plus crus et pour le calembour dont son éditeur considère sans mal qu’il est le « stakhanoviste ». En préface de la réédition d’Artaud Rimbur, Marcel Moreau pose la question : « Calembourrative », cette œuvre? Non. (...) C’est d’un art de tourner de fond en comble le gisement verbal qu’il s’agit. » Et Verheggen en laboure de la langue, à toutes les lignes dans une « polyphonie crûment sensorielle » (M. Moreau toujours).

[…] La joyeuse ripaille de Verheggen sonne fort comme l’indique une folle prolifération de points d’exclamation. Il a le rythme en bouche et c’est la crainte de perdre le tempo en même temps que sa pompe, le cœur brusquement fatigué, qui a motivé le bel Opéré-bouffe, auquel un Portrait de l’artiste en Castafiore catastrophique fait écho : « Mon pauvre corps/ Mon cher ami/ Tout est plis et dépit, n’est-ce pas? ». Les fatrasies se teintent sans perdre haleine d’une inquiétude métaphysique profonde. Le rire et la mort. Pardon : le sexe, la bouffe, le rire et la mort entonnent ensemble un « éloge de la logorrhée », un chant de vie plein d’allant. Avec l’autorisation de régresser, « Miam miam bonbon bougnat », allez, cet été, on se laisse aller.

 

 

Textes de référence

 

 

Ghérasim Luca, « Passionnément », in Le Chant de la carpe

 

pas pas paspaspas pas

pasppas ppas pas paspas

le pas pas le faux pas le pas

paspaspas le pas le mau

le mauve le mauvais pas

paspas pas le pas le papa

le mauvais papa le mauve le pas

paspas passe paspaspasse

passe passe il passe il pas pas

il passe le pas du pas du pape

du pape sur le pape du pas du passe

passepasse passi le sur le

le pas le passi passi passi pissez sur

le pape sur papa sur le sur la sur

la pipe du papa du pape pissez en masse

passe passe passi passepassi la passe

la basse passi passepassi la

passio passiobasson le bas

le pas passion le basson et

et pas le basso do pas

paspas do passe passiopassion do

ne do ne domi ne passi ne dominez pas

ne dominez pas vos passions passives ne

ne domino vos passio vos vos

ssis vos passio ne dodo vos

vos dominos d’or

c’est domdommage do dodor

do pas pas ne domi

pas paspasse passio

vos pas ne do ne do ne dominez pas

vos passes passions vos pas vos

vos pas dévo dévorants ne do

ne dominez pas vos rats

pas vos rats

ne do dévorants ne do ne dominez pas

vos rats vos rations vos rats rations ne ne

ne dominez pas vos passions rations vos

ne dominez pas vos ne vos ne do do

minez minez vos nations ni mais do

minez ne do ne mi pas pas vos rats

vos passionnantes rations de rats de pas

pas passe passio minez pas

minez pas vos passions vos

vos rationnants ragoûts de rats dévo

dévorez-les dévo dédo do domi

dominez pas cet a cet avant-goût

de ragoût de pas de passe de

passi de pasigraphie gra phiphie

graphie phie de phie

phiphie phéna phénakiki

phénakisti coco

phénakisticope phiphie

phopho phiphie photo do do

dominez do photo mimez phiphie

photomicrographiez vos goûts

ces poux chorégraphiques phiphie

de vos dégoûts de vos dégâts pas

pas ça passio passion de ga

coco kistico ga les dégâts pas

le pas pas passiopas passion

passion passioné né né

il est né de la né

de la néga ga de la néga

de la négation passion gra cra

crachez cra crachez sur vos nations cra

de la neige il est il est né

passioné né il est né

à la nage à la rage il

est né à la né à la nécronage cra rage il

il est né de la né de la néga

néga ga cra crachez de la né

de la ga pas néga négation passion

passionné nez pasionném je

je t’ai je t’aime je

je je jet je t’ai jetez

je t’aime passionném t’aime

je t’aime je je jeu passion j’aime

passionné éé ém émer

émerger aimer je je j’aime

émer émerger é é pas

passi passi éééé ém

éme émersion passion

passionné é je

je t’ai je t’aime je t’aime

passe passio ô passio

passio ô ma gr

ma gra cra crachez sur les rations

ma grande ma gra ma té

ma té ma gra

ma grande ma té

ma terrible passion passionnée

je t’ai je terri terrible passio je

je je t’aime

je t’aime je t’ai je

t’aime aime aime je t’aime

passionné é aime je

t’aime passioném

je t’aime

passionnément aimante je

t’aime je t’aime passionnément

je t’ai je t’aime passionné né

je t’aime passionné

je t’aime passionnément je t’aime

je t’aime passio passionnément

 

Jean-Pierre Verheggen

 

in « L’idiot du Vieil-Age » :

 

L’épigramme

 

Épigramme après gramme,

on atteint vite les dix kilos

et c’est le drame !

(Alexandre Dumas in Le drame aux chocolats)

 

L’apocope

 

Apocope-toi pas du chapeau de la gamine,

lui intima le papèt,

pousse plutôt la voiture du mouflet,

hé grand dadais !

 

(Alphonse Daudet in Les contes du Landau)

 

 

Tintin dans le Cotentin

 

Tonnerre de Bresse ! comme disent les malfrats quand ils ont les poulets aux fesses ! Il pleut à verse dans tout le Cotentin et Tintin a égaré son pépin !...

 

L’amour sexagénaire

 

A soixante ans révolus,

couple légitime ou non,

on a beau manger comme des moineaux,

on arrive bien à trouver un petit resto

où s’aimer comme des pigeons,

à l’abri de toute indiscrétion !

Un petit resto avec un petit coin petite restauration

où Monsieur Croque Madame

peut déclarer sa flamme

à Madame Croque Monsieur

qui, insouciante de ce qu’en penseront

ses enfants et petits-enfants,

insouciante de tout drame,

lui retourne ses compliments

en spécifiant qu’elle y consent

et qu’elle veut bien le choisir comme amoureux

à condition qu’il ne se montre ni trop vieux jeu

ni trop baloche-balourd,

tant pour l’amour que pour

le quotidien de leurs vieux jours,

au jour le jour !

 

Urgence

 

On l’a cent fois écrit : ça Panurge ! ça pas n’urge,

chers moutons de la vitesse

et autres pécores de la précipitation !

Cessez donc de nous envoyer à tout bout d’champ

l’urgent de la circulation pour assurer

nos déplacements !

Non seulement on apprécie de ne pas trop bouger

en ce moment mais surtout on a tout le temps !

 

 

 

apocope : figure de style courante en français, qui consiste à supprimer des phonèmes ou de syllabes (vocaliques ou consonantiques, en fin de mot. par exemple resto pour restaurant.

 

 aphérèse : modification phonétique impliquant la perte d'un ou plusieurs phonèmes au début d'un mot. Ex. bus pour autobus, ricain pour américain

 

élision :

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23 février 2011 3 23 /02 /février /2011 10:56

Recette du jour

 

« Pain dans la vallée du M’goun »

 

Ingrédients :

eau, farine de blé, sel, sueur

 

Le pain, quoi de plus basique ?

Basique oui, mais essentiel, élémentaire, vital.

Quoi qu’il en soit, l’un des plus beaux moments de ma vie, un moment de partage au goût presque biblique.

Si ce n’est que dans mon cas, nous sommes fin avril au Maroc, au fin fond de la vallée du M’goun, en terre berbère.

Cela se passe dans un gîte pour randonneurs, géré par des femmes, pendant que le père fait taxi à la ville, à El Kelaa M’Gouna.

 

Aller chercher de l’eau

L’eau, cet élément si précieux dans ces régions éloignées, se mérite.

Tantôt, les filles, les femmes et les enfants forment un groupe joyeux, rieur pour descendre à la rivière le long d’une pente de plusieurs dizaines de %.

Elles portent avec légèreté des jerricans et des bouteilles en plastique vides. Nous les suivons. Nous croyons lire dans leurs yeux : pourquoi nous suivent-ils, ce n’est pas l’affaire des touristes. Puis vient le moment de remonter la pente, chargés comme des mules.

Tantôt, toujours les mêmes filles et femmes puisent l’eau à bout de bras sans l’un des puits du village. Etant femme, j’ai eu l’honneur de puiser 1 seau d’eau. Quelle force cela nécessite, surtout lorsqu’il faut attraper le seau qui est là, au bord du puits, tout en haut !

 

La farine de blé

Nous comprenons qu’elle provient des prés cultivés en aval du village, le long du M’goun. Durant 3 jours de randonnées qui ont précédé notre arrivée au gîté, nous avons traversé des parcelles cultivées de bé, sur lesquelles un cheval harnaché d’une sorte de charrue et monté d’un fermer, travaillait.

Les grains sont ensuite moulus avec une pierre de meule activée manuellement par les enfants.

Les enfants sont le fil rouge de notre périple : ils sont présents, participent aux travaux de la ferme, de la maison, vont eu à l’école, et pour cause !

 

Le sel

Le sel restera un point d’interrogation. Nous pouvons supposer que le père le ramène de la vaille lors de ses allers retours.

 

Il est déjà tard, je ne me souviens plus de son prénom, elle a 16 ans. Elle invite mon compagnon à quitter la cuisine tandis qu’elle m’invite à y rester avec elle. C’est une affaire de femmes qui démarre, et je sens que je vais en être l’actrice, y participer de mes propres mains.

La cuisine est sombre, l’eau est dans les seaux, le four est  à bois, le sol est en terre battue. Nous sommes accroupies. Elle commence à mélanger les ingrédients, les malaxer, les pétrir jusqu’à ensuite étier la pâte comme une immense crêpe. Elle m’invite à faire de même : je mélange, je pétris à mon tour avec plaisir, dans une sorte de communion avec le sol si prêt, la pâte, et la jeune femme qui me guide.

 

Me voilà envahie d’un sentiment d’honneur que cette jeune femme le fait en me faisant participer à un acte aussi essentiel et vital que celui de faire du pain.

Je ne peux m’empêcher en même temps de penser au parcours réalisé et à venir de ma compagne. Elle a 16 ans, est l’aînée de cette famille, ne va pas à l’école. Ses parents ont prévu son mariage avec un garçon du village l’année suivante. A la question « l’aimes-tu ? », la réponse n’est pas si franche, plutôt évasive, le regard tourné vers la terre battue. Quel concept bizarre que de se marier par pour l’amour ?!

Vient le temps de la cuisson dans ce four à bois alimenté au fur et à mesure par la jeune femme. Là c’est l’odeur qui envahit ma mémoire, pas tant celle du pain que celle du bois et de la terre au sol.

 

Puis arrive le moment du repas, au menu duquel, le pain, ce soir là, occupe dans mon cœur, mon esprit  et mon palais, le premier rang.

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19 février 2011 6 19 /02 /février /2011 11:53

Anne-Lise

Cécile D

Christian L

Corinne B

Corinne P

Ersi

Gaëla

Olga

Renaud

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19 février 2011 6 19 /02 /février /2011 11:36

Texte de Corinne P.

 

Les enfants adorent; les miens, ceux des autres... Chaque fois que l'on se réunit pour un repas de famille, ils en réclament. Lorsque je n'ai pas le temps ou le courage de faire mon gâteau au chocolat, en aucun cas, une forêt noire achetée chez un pâtissier ne saurait le remplacer. La preuve en est: je mange alors de la forêt noire toute la semaine.

Tout a commencé autour d'une table à la campagne. Une fin de repas sous l'ombre d'un vieux saule: la fraîcheur de l'air ravivait les rires. Des cris d'enfants suffisamment lointains pour ne pas interférer nous laissaient sereines tandis que nous sirotions un dernier verre de Saint Emilion. Le temps s'étirait et l'instant du dessert approchait: un gâteau au chocolat apporté par Chantal activa nos papilles et notre curiosité. L'ambiance était chaleureuse, la transmission entre copines de recettes séculaires procurait un plaisir clanique. On trouvait vite une feuille, un crayon gris et Chantal nota consciencieusement, en commentant:

 

  •  
    • Une plaquette chocolat noir 250 grs (personne ne la reprit)

    • Beurre 250 grs

    • Sucre 250 grs

    • 50 grs Farine

    • 6 œufs

    • Poudre d'amande 50 grs

 

Aujourd'hui les enfants ont grandi, et nous continuons à nous retrouver sous le vieux saule. Pour la nième fois, j'ai confectionné mon gâteau, en relisant ce papier un peu chiffonné, maculé de taches translucides. Devant une tablée de personnes conquises, c'est aujourd'hui mon tour de commenter cette recette avec laquelle j'ai pris quelques libertés.

 

Il faut commencer par tout rassembler. Avant d'entreprendre la confection même, les ingrédients sont conditionnés, prêts à se rendre utiles. Le chocolat, marque choisie à minima 70% de cacao, est réduit en carré pour un futur bain-marie. Les œufs préférentiellement de ferme sont dissociés en jaunes et blancs. Cette tache mille fois accomplie est toujours un challenge. Le reste est pesé, dans l'attente d'être appareillé.

Incorporer 200 grammes de sucre à 200 grammes de beurre. J'ai pris la liberté de diminuer les proportions. Le « trop sucré » écœure et le « trop beurré » peut poser des limites quant aux parts que l'on s'autorise à découper. C'est toujours pareil avec le trop. Mieux vaut l'éviter. Le beurre est ramolli en pommade, grâce à un petit détour au micro ondes: 30 secondes, pas une de plus. Ultime écart aux préconisations de Chantal: je laisse tomber les amandes. Pourtant l'élève a rattrapé le maître comme elle me l'avouera plus tard. Une reconnaissance de ses pairs agit comme un exhausteur de goût.

 

Faire fondre le chocolat au bain-marie : jolie formule référence gardée à l'alchimiste Marie la juive qui vécut en Alexandrie au IIIème siècle avant notre ère. Sur le gaz, la petite casserole est posée en équilibre dans la grande. Une spatule en bois permet de remuer, jusqu'à obtenir une masse fluide à l'éclat soyeux. Après qu'elle ait légèrement refroidi, on l'incorpore au mélange beurre-sucre. Avec un chocolat quelconque la pâte prendrait un aspect granuleux comme si elle refroidissait trop vite et se prenait en masse. Ici comme dans toutes circonstances la qualité prévaut. La cuisine est une alchimie subtile.

 

Ajouter ensuite les jaunes d'œuf : leur couleur soutenue tranche avec l'ambré du chocolat. Ce jaune soleil n'est pas sans évoquer celui dégoulinant le long du muret de pierres sèches qui entourait la ferme où nous nous rendions, ma sœur et moi, pour acheter nos œufs. La fermière nous en donnait toujours un ou deux de plus, au cas où l'un d'eux ne serait plus mangeable. Il faut dire que parmi les œufs ramassés chaque jour aux quatre coins des granges, certains pouvaient être oubliés et découverts longtemps après avoir été pondus. Riches de ces œufs surnuméraires, nous décidions d'en éclater un contre un mur. Nous voulions observer l'effet produit par la masse visqueuse explosant hors de sa coquille. L'espace de quelques instants, nous retenions notre souffle dans la crainte de voir s'écraser l'embryon d'un poussin insuffisamment couvé. D'un geste rapide comme volé à l'innocence, nous accomplissions notre forfait, se jurant de le garder secret. Nous savions notre geste grave dans un environnement où l'on refusait de jeter le moindre morceau de pain à la fin d'un repas, comme aux temps de disettes ancestrales.

 

Verser en pluie cinq cuillères à soupe rases de farine, ingrédient que je manipule sans grand plaisir. Il épaissit tant la pâte qu'elle devient difficile à travailler mais il faut pourtant tourner longtemps... Alors je change de bras, maudissant la tendinite qui m'handicape depuis des mois. Tout ça pour avoir ramassé les feuilles du jardin pendant des heures. Décidément, il est trop étendu mon jardin! On a parfois des velléités de grandeur qui se révèlent tôt ou tard envahissantes.

 

Un demi sachet de levure à incorporer dans l'onctueux mélange chocolaté. Je me souviens de l'erreur commise gamine – je devais avoir 10 ans – lorsque j'ai ajouté de la levure à une mousse au chocolat. La crème travestie était posée sur le rebord de la baignoire dans la salle de bain servant de pièce réfrigérée. Je jetais régulièrement un coup d'œil en espérant voir la crème doubler de volume, bref, faire ce qu'était sensé produire la levure. Dans mon inconscience, j'avais cru pouvoir corriger le faible volume des blancs battus en neige manuellement. Cette erreur m'a poursuivie, un reproche fait à moi-même qui a sans doute contribué à me détourner de tout attachement culinaire.

Monter les blancs en neige. Lorsque je cuisine, la radio est allumée. Entrelardé entre deux émissions, Hervé This, le cuisto chimiste explique comment savoir si les blancs sont suffisamment fermes: retourner au dessus de la tête le récipient contenant la douce neige. Rien ne tombe, rien ne frémit, la récompense est là. Pas compliqué: l'ovalbumine, protéine du blanc d'œuf va être déstructurée par le battement du fouet et donner cette sorte d'émulsion nuageuse, de l'air s'incorporant entre les chaînes protidiques. On y tremperait volontiers le doigt avant de le porter à la bouche. Promesse de plaisir rapidement déçue par la légère âpreté du blanc d'œuf. En avez vous déjà gouté?

 

Ajouter les blancs en neige au mélange chocolaté. Méthodiquement, les retourner sans les casser. Expression énigmatique s'il en ait: comment peut-on casser une texture aérifère alors que dans le pire des cas elle redevient légèrement visqueuse? Ah! les mots, leur exactitude, leur finitude, leur signification fluctuant en fonctions des circonstances. Comment s'approprier une langue dans ces moindres subtilités? Un lexique des termes culinaires serait le bienvenu!

 

Enfin, verser la pâte dans le moule beurré à bords cannelés. Celui ci doit être assez profond, sans trop, de façon à ce que le gâteau ne cuise pas à cœur. Selon un mouvement ondulatoire, la masse chocolatée tombe mollement dans le récipient en terre cuite. Une légère secousse des poignets finit de bien répartir la pâte dans le récipient en terre que je m'apprête à enfourner: 200°C pendant 10 minutes, puis 10 minutes supplémentaires à four entr'ouvert. C'est bien la seule recette que je connaisse qui demande de cuire dans un four ouvert.

 

Et voici le meilleur pour la fin: le plat à nettoyer ! Si les enfants ne sont pas là, c'est moi qui ai ce privilège. Je lèche avec plaisir mon doigt maculé de crème soyeuse, seule, en toute intimité.

 

Texte de Christian L. 

 

Ce soir, tout doit être parfait pour la recevoir.

Je me prépare depuis une semaine.

J’ai passé toute une nuit dans la neige à les attendre. Quand elles sont arrivées, elles se sont détachées sur le ciel d’hiver sans nuages. Une est restée au sol après le coup de feu.

Ses soubresauts soulevaient la neige quand je me suis approché. Ses yeux incrédules se sont tournés vers moi. Je l’ai achevée au couteau.

J’ai bien failli me laisser surprendre. Fasciné par la flaque rouge sur la neige, je n’avais pas vu l’aurore apparaître sur les crêtes. Mon fardeau sur les épaules, je suis rentré, avec dans la tête un vieux fabliau français ;

« Je suis fille le jour et la nuit blanche biche

La chasse est après moi, les barons et les princes »

 

Toutes les portes, toutes les fenêtres ont été fermées. Pas un rais de lumière ne doit filtrer. Je vais passer toute la journée … pour cette soirée … pour

 

Le cou de biche au sang.

 

Stanislas annone la recette. Sa voix résonne sous la voute de la cuisine.

« Pren dre une jeu ne bi che … »

 

Cela, je m’en suis chargé. Lui est descendu au village. Il y va rarement. Il n’y a jamais été le bienvenu. Ce jour là, mon argent lui a ouvert les portes :

Des boules de pain, des œufs, du lait, du fromage blanc mais aussi toutes les pâtisseries, toutes les friandises de miel, de noix et d’amandes … et tous ces légumes confits que l’épicier turc garde dans son arrière boutique … avec ses graines de genièvre, sa gelée de groseille, ses épices : poivre, coriandre, cannelle … son vin, son eau de vie de prune … qui peut acheter tout cela au village ?

 

«  Cou per le cou de l’a ni mal » et détacher la tête.


Le rituel vient de commencer. Le sacrifice. Mes mains sont recouvertes de sang : le rouge et le blanc. C’est mon moment de faiblesse, de doutes. Dans ma tête se mêlent les regards de l’animal et les yeux de celle qui viendra ce soir. Confusion des verbes aimer et tuer, s’offrir et dévorer.

« Elle a le cheveu blond et le sein d’une fille

A tiré son couteau en quartier il l’a mise »

 

Parer la selle de la biche, la désosser. Découper sa carcasse aux ciseaux, trancher les cuissots et braiser la viande à feu vif.

 

Dans la cheminée, le feu a brûlé pendant plusieurs heures. Au dessus des braises, je jette les morceaux de viande sur la grille : le rouge et le noir. Comme un alchimiste, je viens d’enclencher la métamorphose, la transmutation. Ce n’est plus le cadavre d’un animal, c’est à nouveau une chaude promesse. Elle n’est plus une étrangère, elle est déjà une passion.

Je rêve, les yeux rivés sur les chenets. Le sang s’écoule sur les briques, se fige, noircit et se craquèle. Et les tâches qui se forment semblent raconter ma vie et mon destin.

« Mon sang est répandu par toute la cuisine.

Et sur ces noirs charbons mes pauvres os y grillent »

 

Préparer la farce : hacher le cœur, le foie, les rognons. Presser les morceaux de viande rôtie, plusieurs fois, et recueillir tout le sang. Ajouter la viande à la farce. La lier avec des œufs, de la mie de pain trempée dans du lait et le sang recueilli.

 

Maintenant je plonge mes mains dans mon œuvre. Je fais corps avec elle. Entre mes doigts, toute la chaleur se glisse. Je suis le Créateur. Qui pourra désormais m’empêcher de la façonner à mon image ?

Un raclement de gorge de Stanislas me tire de mon délire mégalomaniaque.

 

Détacher délicatement la peau du cou en la retournant comme un gant. Introduire la farce. Embosser la peau du cou, coudre les deux extrémités et finir de cuire dans les restes de graisse et de sang de l’animal.

 

Comme dans une symphonie de Tchaïkovski, après le tumultueux crescendo, l’avant dernier mouvement tente une timide valse. Pour nous rassurer. Pour nous persuader de la vérité de notre chemin : elle est devant toi l’œuvre que tu voulais réaliser. Et, l’avant dernier mouvement d’une symphonie de Tchaïkovski nous plonge dans le vide et la peur … du dernier mouvement.

 

Faire caraméliser la gelée de groseille, déglacer à l’eau de vie, puis ajouter les aubergines et les tomates confites … le genièvre et le poivre. Laisser réduire et verser le fond du gibier sur cette réduction et continuer la cuisson jusqu’à l’obtention d’une sauce qui nappera le tout.

 

Vite, il faut rattraper la passion qui fuit, cette chaleur qui me gonflait le cœur et qui semble s’être égarée dans ce dédale d’attentes et de déceptions. Tout n’est pas perdu mais aux grandes évidences du début je ne peux que substituer des émotions compliquées, des plaisirs attendus, des habitudes anesthésiantes.

La nuit s’est à nouveau installée. J’ouvre les fenêtres. D’un revers de main, je me protège de la lumière de la lune. Quelques nuages passent, poussés par le vent d’hiver. Les yeux dans le vague, je suis le vol de quelques chauves-souris. Je me retourne vers la salle … tout est prêt.

Le vin ? Du vin de Moldova, aussi âpre que son sol. Quel millenium … pardon, quel millésime ?

Au centre de la table j’ai déposé l’immense plat. La tête de la biche prolonge son cou glacé dans sa gangue de caramel et de fruits rouges. Les flammes des bougies font vibrer les carafes de vin et d’eau de vie des prunes de l’été. La salle est sombre, seul un halo doré semble promettre et attendre.

Le vent redouble. J’avais à peine entendu les chevaux. Elle est là.

Comment suis-je ? Je passe devant tous les miroirs, mais il est impossible de me recoiffer.

Elle monte les escaliers. Ses talons claquent sur les marches de pierre.

Moi, je pense au dessert et à sa gorge blanche.

 

Texte de Cécile D. 

 

Certains me disent fée, d'autres me déclament magicienne
d'autres encore me nomment Sybille, fantasmagorie, sirène
ou Sorcière.
Certains me trouvent belle à pâlir, d'autres hideuse à vomir,
mais nul ne me surprend telle que je suis vraiment.
Depuis deux millions et demi d'années je fuis
dans cet univers et dans l'autre au gré de mes envies
J’ai connu des contrées que vous ne pourrez imaginer
valsé lors d'orages féroces et de voraces tempêtes
goûté des soleils incessants et des lunes dévorantes
des tornades d'années englouties en un clignement de cils
Et aujourd'hui dans cette même forêt que jadis
Par gros temps et par printemps
je hume les parfums indomptés de ma bien-aimée contrée
je déambule dans les méandres de ses viscères
je vis de son souffle, de ses sursauts, de ses colères,
je m'abreuve de ses soupirs, je grandis dans sa touffeur,
sans cesse, sans cesse, sans cesse.

Ses amertumes j’ai croqué, léché, mâché, dévoré, recraché
chaque goût je garde dans l’infini de mes papilles ensorcelées.
Mais dans mon grimoire une seule recette il  y a,
l’alchimie parfaite
idéale
absolue
sublime
 
du Coq au Vin.
 

 
Toujours je choisis mon précieux, mon or, mon coq
Dès que sa mère poule est en cloque
A sa couleur sa forme et son odeur
L’œuf me dit sa fermeté et sa saveur
Puis pendant huit jours et huit nuits,
Avant que la lune nouvelle ne s’élève
Laisser le glorieux martyr bien au chaud
Entre un Bordeaux et un Beaujolais nouveau.
A l’éclosion le baptiser d’une goutte de rosé
Et rendre à sa mère caqueteuse le coq à venir
Car tout seul il s’engraissera sans coup frémir.
 
Pendant que votre poulet grandit forcit mûrit

Débute de la recette la meilleure partie :
Pour qu’inoubliable votre coq au vin soit
Ne pas hésiter de boire tu dois
Car se cache la clef du succès
Au fond d’une bouteille de Tariquet.
Tariquet, oui, mais de quelle année ?
 
 
Alors prendre courage je dois
Car je bois je bois et je bois
Je sens mes magiques papilles se réveiller
Et ma tête en rythme vibrer
Surtout ne pas s’arrêter, goûter, aspirer, s’imbiber,
Pour trouver le cru inespéré, celui dont c’est la destinée.
Je cours maintenant après mon poulet
Car il est temps de le découper.
Viens mon Petit mon Ami mon Mari,
Que je te cajole te caresse et te berce
Que je te plume te décortique et te dépèce
 
Les plumes volent les pattes s’agitent
Le sang bout le coup palpite
Mon bras vole la hache s’agite
L’eau bout mon ventre palpite.

Je jette les oignons je jette les épices
Et ma tambouille je touille avec délice
Mais les vins que je goûte depuis tant d’années
Me mettent maintenant au supplice de m’en séparer
Adieu mon bon Bourgogne, adieu mon tendre Castillon,
Au revoir mon fragile Lafitte, hélas mon aimé St Emilion
De vous je me souviendrai toujours
Comme mes premiers, mes seuls, mes vrais amours
 
La marmite tressaute les bulles explosent
Les herbes s’entremêlent le bouillon s’impose
Je danse
En transe
Bientôt se terminera mon errance
Quand je me remplirai enfin la panse
 
VINUS VINUS COQUS
DEUS MALIFICARUM

VINUS VINUS COQUS
MAGICUM BONIFICARUM
 
Viens mon Coq viens mon Maître
Dans ton antre dans mon ventre
Qui par le vin taquiné et excité
Une humanité entière pourrait dévorer

 

Texte d'Anne-Lise

 

« Pain dans la vallée du M’goun »

Ingrédients : eau, farine de blé, sel, sueur

 

Le pain, quoi de plus basique ?

Basique oui, mais essentiel, élémentaire, vital.

Quoi qu’il en soit, l’un des plus beaux moments de ma vie, un moment de partage au goût presque biblique.

Si ce n’est que dans mon cas, nous sommes fin avril au Maroc, au fin fond de la vallée du M’goun, en terre berbère.

Cela se passe dans un gîte pour randonneurs, géré par des femmes, pendant que le père fait taxi à la ville, à El Kelaa M’Gouna.

 

Aller cherche de l’eau

L’eau, cet élément si précieux dans ces régions éloignées, se mérite.

Tantôt, les filles, les femmes et les enfants forment un groupe joyeux, rieur pour descendre à la rivière le long d’une pente de plusieurs dizaines de %.

Elles portent avec légèreté des jerricans et des bouteilles en plastique vides. Nous les suivons. Nous croyons lire dans leurs yeux : pourquoi nous suivent-ils, ce n’est pas l’affaire des touristes. Puis vient le moment de remonter la pente, chargés comme des mules.

Tantôt, toujours les mêmes filles et femmes puisent l’eau à bout de bras sans l’un des puits du village. Etant femme, j’ai eu l’honneur de puiser 1 seau d’eau. Quelle force cela nécessite, surtout lorsqu’il faut attraper le seau qui est là, au bord du puits, tout en haut !

 

La farine de blé

Nous comprenons qu’elle provient des prés cultivés en aval du village, le long du M’goun. Durant 3 jours de randonnées qui ont précédé notre arrivée au gîté, nous avons traversé des parcelles cultivées de bé, sur lesquelles un cheval harnaché d’une sorte de charrue et monté d’un fermer, travaillait.

Les grains sont ensuite moulus avec une pierre de meule activée manuellement par les enfants.

Les enfants sont le fil rouge de notre périple : ils sont présents, participent aux travaux de la ferme, de la maison, vont eu à l’école, et pour cause !

 

Le sel

Le sel restera un point d’interrogation. Nous pouvons supposer que le père le ramène de la vaille lors de ses allers retours.

 

 

Il est déjà tard, je ne me souviens plus de son prénom, elle a 16 ans. Elle invite mon compagnon à quitter la cuisine tandis qu’elle m’invite à y rester avec elle. C’est une affaire de femmes qui démarre, et je sens que je vais en être l’actrice, y participer de mes propres mains.

La cuisine est sombre, l’eau est dans les seaux, le four est  à bois, le sol est en terre battue. Nous sommes accroupies. Elle commence à mélanger les ingrédients, les malaxer, les pétrir jusqu’à ensuite étier la pâte comme une immense crêpe. Elle m’invite à faire de même : je mélange, je pétris à mon tour avec plaisir, dans une sorte de communion avec le sol si prêt, la pâte, et la jeune femme qui me guide.

 

Me voilà envahie d’un sentiment d’honneur que cette jeune femme le fait en me faisant participer à un acte aussi essentiel et vital que celui de faire du pain.

Je ne peux m’empêcher en même temps de penser au parcours réalisé et à venir de ma compagne. Elle a 16 ans, est l’aînée de cette famille, ne va pas à l’école. Ses parents ont prévu son mariage avec un garçon du village l’année suivante. A la question « l’aimes-tu ? », la réponse n’est pas si franche, plutôt évasive, le regard tourné vers la terre battue. Quel concept bizarre que de se marier par pour l’amour ?!

Vient le temps de la cuisson dans ce four à bois alimenté au fur et à mesure par la jeune femme. Là c’est l’odeur qui envahit ma mémoire, pas tant celle du pain que celle du bois et de la terre au sol.

 

Puis arrive le moment du repas, au menu duquel, le pain, ce soir là, occupe dans mon cœur, mon esprit  et mon palais, le premier rang.

 

 

Texte de Renaud

 

Le 27/03, 10 jours avant le jour de Pâques

 

Horreur ! Me voici au pied du mur. Quelle idée de faire ce pari idiot ? Cela se passa à Noël dernier : le repas familial terminé je m'apprêtais à apporter ma contribution habituelle à l'œuvre collective, principalement féminine, quand quelqu'un de mal attentionné m'interpella : « on t'a jamais vu préparer un repas de famille, toi, ...depuis le temps ...» alors que je quittais la salle à manger en ignorant superbement la remarque  j'entendis dans mon dos «  et je parie que ça n'arrivera jamais ». Je fis demi-tour, je répondis sèchement, les interjections fusèrent, je fus mis sur la sellette, ma participation traditionnelle à participer via la vaisselle fut vilipendée, je me défendis avec arrogance, on me lança le défi de préparer le prochain repas de famille (« c'est le plus simple de l'année » dit-on en rigolant!), je dis « je suis prêt à relever le défi à condition que je prenne tout en charge », on me dit « chiche », je dis « pari tenu » ...et me voilà, pauvre de moi, au pied du mur. Nous sommes le 27 mars et le repas familial traditionnel de Pâques aura lieu dans 10 jours. Nous serons dix. Je suis plongé dans un livre de cuisine, emprunté discrètement à la médiathèque du village. Pauvre de moi. Je n'ai jamais cuisiné et je suis obligé de compulser ce livre pour m'imprégner de la recette du plat que d'aucun déclare si enfantin à réaliser que même moi, le néophyte, pourra le faire les yeux fermés : un gigot d'agneau aux flageolets. Le plat familial de Pâques. Je n'aime pas les flageolets. Je vais changer de recette. Je tourne les pages du livre. Je pense aux 9 autres. Je n'aime pas les flageolets mais j'aime le gigot d'agneau. Je tombe sur la recette de l' « épaule d'agneau aux 10 légumes ». Exit les flageolets. Bonjour les légumes.

 

Le 04/04, 2 jours avant Pâques

 

Ces derniers jours, j'ai décliné plusieurs propositions d'aide pour préparer le repas de Pâques. J'ai promis de le préparer seul et je le ferai.  Je fais fi du scepticisme ambiant. Me procurer la viande fut une épopée. D'abord je mis du temps à réaliser que je ne trouverais jamais une épaule d'agneau du poids que je voulais (il m'en fallait une d'environ 3 Kg) ; en effet l'agneau est un animal trop jeune (5 à 6 mois) pour donner une telle épaule. Devais-je en prendre 2 ou fallait-il que j'achète une épaule de mouton, prélevée, elle, sur l'animal adulte, mais à la chair moins tendre et moins fine que l'agneau ? J'allais à plusieurs boucheries et j'essayai de me faire une idée en comparant la chair rouge vif d'un agneau à celle, sensiblement plus foncée, du mouton. J'observai avec attention la palette et j'essayais de comparer celle de l'épaule à celle du mouton. Quelle était la meilleure boucherie des alentours ? Si je prenais deux épaules d'agneau n'aurais-je pas des difficultés à les faire rentrer dans le four ? Saurais-je bien les « contiser » ? Serais-je capable de les faire cuire le temps qu'il fallait et de la même façon ?  Comment reconnaître, à l'œil, qu'une épaule arrivait à cuisson ? J'en fus arrivé à faire un cauchemar : coincé dans un espace réduit je me trouvais accroupi, comme tétanisé, nez à nez avec un mouton rigolard, quand une sensation bizarre de chaleur, d'abord légère et diffuse, se mit à augmenter de plus en plus jusqu'à  que je réalise que le mouton rigolard, en réalité, me surveillait, moi qui cuisait à sa place dans le four. Heureusement tout ça c'est fini. L'épaule de mouton (tant pis si c'est moins bon, ce sera moins risqué à faire cuire que les deux épaules) se trouve depuis hier dans le frigidaire.

 

Je reviens du marché. Acheter les légumes fut plutôt facile : après avoir tourné autour de quelques étals, ma liste à la main, sans pouvoir me décider où acheter, je fus interpellé par une marchande exubérante qui m'interpellant avec faconde, réussit à ce que je lui remette ma liste et à remplir illico presto mon panier, faisant bon poids à chaque légume, vantant son origine et sa fraicheur, parlant avec d'autres personnes tout en m'interrogeant avec impudeur sur ma vie et me laissant, quelques minutes plus tard, plutôt satisfait, finalement, d'avoir fait mes courses aussi facilement. Je vide maintenant le panier sur la table : blettes, fenouil, oignons, pommes de terres, aubergines, poivrons, courgettes, tomates, champignons, gousses d'ail. Le compte est bon. 10 convives. 10 légumes, qui ne me paraissent pas aussi beaux que quand je les ai achetés.

 

Le 06/04- Jour de Pâques

 

Je suis seul à la cuisine. Je m'attaque à la recette. J'ai demandé à ne pas être dérangé. Chacun a accepté avec ravissement ma requête de me laisser seul à la maison ; tout le monde est parti se promener jusqu'au moment de mettre la table, en fin de matinée.

 

1/ Pelez et émincez les oignons.

 

Les oignons que j’ai devant moi ne valent pas ceux de tante Gilberte. Ceux qu'elle cultivait avec amour étaient roses, ronds, gros, délicats et tendres. Et en plus ils ne faisaient pas pleurer (parait-il). Voilà ce que nous racontera tout à l'heure  mon cousin Benoît, le fils de tante Gilberte (paix à son âme), la mine toute émue. Les oignons que j'ai devant moi ne valent pas tripette. Ils sont petits, secs et rabougris. Et je me mets en plus à pleurer à chaudes larmes à peine ai-je commencé à les peler. Je vais chercher les autres légumes et les amoncelle sur la table.

 

2/ Nettoyez les feuilles de blettes et les champignons, épluchez et émincez grossièrement les pommes de terre, coupez les fenouils et les tomates en quartiers, écraser les gousses d'ail.

 

C'est là que je regrette d'avoir abandonné les flageolets. Nettoyer, couper, écraser, émincer ...Je nettoie les légumes les uns après les autres puis je sors du placard la planche à découper et  prends le premier couteau de cuisine venu. Je commence à émincer. Quelle galère ! Le couteau n'est pas le bon : il n’est pas assez tranchant, glisse des doigts de part son manche en plastique inadapté et n'est pas assez lourd. Je balance le couteau dans l'évier. J'essaye de me calmer. Je ré-ouvre le tiroir et cherche le couteau adapté. Trouvé : je saisis le « couteau du chef », offert par l'oncle Albert. Ah, l'oncle Albert ! Le spécialiste de l' «éminçage » des légumes. Je le vois encore nous faire la leçon, nous tous autour de lui : « mettez l'index et le pouce sur le bout du manche, comme ça et repliez les doigts pour éviter de vous les couper. Mettez la pointe du couteau sur la planche, comme ça, un peu plus loin que le légume, le couteau bien au dessus puis effectuez un mouvement de balancier, plus ou moins ample et rapide en fonction des légumes à émincer,  maintenez bien la pointe de couteau sur la planche pour les légumes tout en longueur et surtout maitrisez toujours votre mouvement». Emporté par mon élan (ce n’est pas si compliqué), je me rappelle trop tard la dernière consigne de l'oncle Albert : le couteau affleure mon index gauche ... ouah ! J'ai eu chaud ! Punaise de couteau à la noix (version soft), qui rejoint aussitôt l’autre dans l’évier.

 

3/ Épépinez et taillez les poivrons en lanières, coupez les aubergines en dé et détaillez les courgettes en rondelles

 

Je suis sûr que poivrons et aubergines deviendront un sujet de conversation, car ils feront penser fatalement au fameux plat méditerranéen qui fait partie de la mythologie familiale et dont le souvenir amène anecdote sur anecdote. J'ai participé très longtemps à ces joutes nostalgiques, d'abord avec ardeur, puis avec de plus en plus de mollesse, enfin avec une indifférence teintée d'ironie avant, tout récemment, d’en être exaspéré au point de tenter de ne plus y participer. La conversation me sera donc insupportable. Je découpe ces légumes en tout petits morceaux avec de petits gestes vifs accompagnés d'un grand rire nerveux, qui me fait du bien, afin qu'ils ne soient pas reconnaissables.

 

4/Préchauffer le four

 

« Four à bois, bois de santal, Talleyrand, rang d’oignons, ions d’atomes, tome de Savoie, voie lactée, t’es pas cap... ». Face au four, je me laisse aller à clamer à voix haute la ritournelle qui, depuis bien longtemps, me permet de reprendre mes esprits et de me calmer. Heureusement que mes enfants, en ballade avec les autres convives, ne l’entendent pas, car ils m’auraient demandé immédiatement d’arrêter ça, en prétextant qu’ils avaient assez soupé de cette « ritournelle » quand ils étaient enfants. Les ingrats. Allez, concentrons-nous. Préchauffer un four, heureusement, ce n’est pas sorcier. Quoique ... La recette ne dit pas combien de temps. Bon disons 15 minutes à 200 °C. Mais faut-il compter le temps de chauffe dans ces quinze minutes ? « Mais non cette question n’est pas idiote ! », j’imagine aussitôt une joute oratoire explosive, typique d’un défoulement ciblé. Mais la personne avec laquelle j’exécute (et vice-versa) cet exutoire est également en ballade. Trouvons autre chose : « four à bois, bois de santal, ... ». Je me calme et je me décide de comptabiliser le temps de chauffe dans le temps de préchauffage.

 

5/Huilez la cocotte en fonte ; disposez tous ces légumes dans l’ordre d’épluchage, en couches successives ; salez et poivrez entre chaque couche ; déposez l’épaule d’agneau soigneusement dégraissée par-dessus, couvrez ...

 

Ca devient sérieux. Je lis et relis la recette. Je fais bouillir le jus des légumes et je le réduis sur feu vif jusqu’à ce qu’il soit sirupeux. Je saupoudre les légumes d’un voile de curry. Je fais de petites incisions dans l’ épaule et j’y introduis de l’ail. Je fais frémir le fumet. Stop ! Je reviens sur terre, la recette toujours à la main ! Je la balance à la poubelle et me lance sans filet. Je me mets à faire tout ce qui reste dans un état second. Je ne voie pas le temps passé. L’odeur de mouton empreigne la cuisine et je m’y sens bien. Une bordée de souvenirs me remonte en mémoire. Mais je reste concentré et me refuse d’y plonger. J’avais surestimé le temps passé à préparer le plat principal et sous-estimé celui nécessaire à la réalisation de l’entrée et du dessert (pourtant des plus simples) et au nettoyage de la cuisine.

 

Me voilà maintenant, mes tâches achevées dans les délais, plutôt content de moi, avec mon verre de pastis bien mérité à la main, surpris de me retrouver avec de belles dispositions dans l’attente des convives. Les voici qui reviennent de leur promenade. Le cousin Benoit me lance un regard ironique et me balance un « déjà ! » en regardant ostensiblement mon verre, interjection qui me fait dresser l’épiderme. Puis j’entends « ouah, ça pue le mouton ! Mais tu n’as pas ouvert la fenêtre de la cuisine ! » qui fait éclater mes bonnes résolutions en mille morceaux ! Ca promet ! Je récite dans ma tête : « Four à bois, bois de santal, … »

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19 février 2011 6 19 /02 /février /2011 11:35

Certains me disent fée, d'autres me déclament magicienne
d'autres encore me nomment Sybille, fantasmagorie, sirène
ou Sorcière.
Certains me trouvent belle à pâlir, d'autres hideuse à vomir,
mais nul ne me surprend telle que je suis vraiment.
Depuis deux millions et demi d'années je fuis
dans cet univers et dans l'autre au gré de mes envies
J’ai connu des contrées que vous ne pourrez imaginer
valsé lors d'orages féroces et de voraces tempêtes
goûté des soleils incessants et des lunes dévorantes
des tornades d'années englouties en un clignement de cils
Et aujourd'hui dans cette même forêt que jadis
Par gros temps et par printemps
je hume les parfums indomptés de ma bien-aimée contrée
je déambule dans les méandres de ses viscères
je vis de son souffle, de ses sursauts, de ses colères,
je m'abreuve de ses soupirs, je grandis dans sa touffeur,
sans cesse, sans cesse, sans cesse.

Ses amertumes j’ai croqué, léché, mâché, dévoré, recraché
chaque goût je garde dans l’infini de mes papilles ensorcelées.
Mais dans mon grimoire une seule recette il  y a,
l’alchimie parfaite
idéale
absolue
sublime
 
du Coq au Vin.
 

 
Toujours je choisis mon précieux, mon or, mon coq
Dès que sa mère poule est en cloque
A sa couleur sa forme et son odeur
L’œuf me dit sa fermeté et sa saveur
Puis pendant huit jours et huit nuits,
Avant que la lune nouvelle ne s’élève
Laisser le glorieux martyr bien au chaud
Entre un Bordeaux et un Beaujolais nouveau.
A l’éclosion le baptiser d’une goutte de rosé
Et rendre à sa mère caqueteuse le coq à venir
Car tout seul il s’engraissera sans coup frémir.
 
Pendant que votre poulet grandit forcit mûrit

Débute de la recette la meilleure partie :
Pour qu’inoubliable votre coq au vin soit
Ne pas hésiter de boire tu dois
Car se cache la clef du succès
Au fond d’une bouteille de Tariquet.
Tariquet, oui, mais de quelle année ?
 
 
Alors prendre courage je dois
Car je bois je bois et je bois
Je sens mes magiques papilles se réveiller
Et ma tête en rythme vibrer
Surtout ne pas s’arrêter, goûter, aspirer, s’imbiber,
Pour trouver le cru inespéré, celui dont c’est la destinée.
Je cours maintenant après mon poulet
Car il est temps de le découper.
Viens mon Petit mon Ami mon Mari,
Que je te cajole te caresse et te berce
Que je te plume te décortique et te dépèce
 
Les plumes volent les pattes s’agitent
Le sang bout le coup palpite
Mon bras vole la hache s’agite
L’eau bout mon ventre palpite.

Je jette les oignons je jette les épices
Et ma tambouille je touille avec délice
Mais les vins que je goûte depuis tant d’années
Me mettent maintenant au supplice de m’en séparer
Adieu mon bon Bourgogne, adieu mon tendre Castillon,
Au revoir mon fragile Lafitte, hélas mon aimé St Emilion
De vous je me souviendrai toujours
Comme mes premiers, mes seuls, mes vrais amours
 
La marmite tressaute les bulles explosent
Les herbes s’entremêlent le bouillon s’impose
Je danse
En transe
Bientôt se terminera mon errance
Quand je me remplirai enfin la panse
 
VINUS VINUS COQUS
DEUS MALIFICARUM

VINUS VINUS COQUS
MAGICUM BONIFICARUM
 
Viens mon Coq viens mon Maître
Dans ton antre dans mon ventre
Qui par le vin taquiné et excité
Une humanité entière pourrait dévorer

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19 février 2011 6 19 /02 /février /2011 11:30

 Ce soir, tout doit être parfait pour la recevoir.

Je me prépare depuis une semaine.

J’ai passé toute une nuit dans la neige à les attendre. Quand elles sont arrivées, elles se sont détachées sur le ciel d’hiver sans nuages. Une est restée au sol après le coup de feu.

Ses soubresauts soulevaient la neige quand je me suis approché. Ses yeux incrédules se sont tournés vers moi. Je l’ai achevée au couteau.

J’ai bien failli me laisser surprendre. Fasciné par la flaque rouge sur la neige, je n’avais pas vu l’aurore apparaître sur les crêtes. Mon fardeau sur les épaules, je suis rentré, avec dans la tête un vieux fabliau français ;

« Je suis fille le jour et la nuit blanche biche

La chasse est après moi, les barons et les princes »

 

Toutes les portes, toutes les fenêtres ont été fermées. Pas un rais de lumière ne doit filtrer. Je vais passer toute la journée … pour cette soirée … pour

 

Le cou de biche au sang.

 

Stanislas annone la recette. Sa voix résonne sous la voute de la cuisine.

« Pren dre une jeu ne bi che … »

 

Cela, je m’en suis chargé. Lui est descendu au village. Il y va rarement. Il n’y a jamais été le bienvenu. Ce jour là, mon argent lui a ouvert les portes :

Des boules de pain, des œufs, du lait, du fromage blanc mais aussi toutes les pâtisseries, toutes les friandises de miel, de noix et d’amandes … et tous ces légumes confits que l’épicier turc garde dans son arrière boutique … avec ses graines de genièvre, sa gelée de groseille, ses épices : poivre, coriandre, cannelle … son vin, son eau de vie de prune … qui peut acheter tout cela au village ?

 

«  Cou per le cou de l’a ni mal » et détacher la tête.


Le rituel vient de commencer. Le sacrifice. Mes mains sont recouvertes de sang : le rouge et le blanc. C’est mon moment de faiblesse, de doutes. Dans ma tête se mêlent les regards de l’animal et les yeux de celle qui viendra ce soir. Confusion des verbes aimer et tuer, s’offrir et dévorer.

« Elle a le cheveu blond et le sein d’une fille

A tiré son couteau en quartier il l’a mise »

 

Parer la selle de la biche, la désosser. Découper sa carcasse aux ciseaux, trancher les cuissots et braiser la viande à feu vif.

 

Dans la cheminée, le feu a brûlé pendant plusieurs heures. Au dessus des braises, je jette les morceaux de viande sur la grille : le rouge et le noir. Comme un alchimiste, je viens d’enclencher la métamorphose, la transmutation. Ce n’est plus le cadavre d’un animal, c’est à nouveau une chaude promesse. Elle n’est plus une étrangère, elle est déjà une passion.

Je rêve, les yeux rivés sur les chenets. Le sang s’écoule sur les briques, se fige, noircit et se craquèle. Et les tâches qui se forment semblent raconter ma vie et mon destin.

« Mon sang est répandu par toute la cuisine.

Et sur ces noirs charbons mes pauvres os y grillent »

 

Préparer la farce : hacher le cœur, le foie, les rognons. Presser les morceaux de viande rôtie, plusieurs fois, et recueillir tout le sang. Ajouter la viande à la farce. La lier avec des œufs, de la mie de pain trempée dans du lait et le sang recueilli.

 

Maintenant je plonge mes mains dans mon œuvre. Je fais corps avec elle. Entre mes doigts, toute la chaleur se glisse. Je suis le Créateur. Qui pourra désormais m’empêcher de la façonner à mon image ?

Un raclement de gorge de Stanislas me tire de mon délire mégalomaniaque.

 

Détacher délicatement la peau du cou en la retournant comme un gant. Introduire la farce. Embosser la peau du cou, coudre les deux extrémités et finir de cuire dans les restes de graisse et de sang de l’animal.

 

Comme dans une symphonie de Tchaïkovski, après le tumultueux crescendo, l’avant dernier mouvement tente une timide valse. Pour nous rassurer. Pour nous persuader de la vérité de notre chemin : elle est devant toi l’œuvre que tu voulais réaliser. Et, l’avant dernier mouvement d’une symphonie de Tchaïkovski nous plonge dans le vide et la peur … du dernier mouvement.

 

Faire caraméliser la gelée de groseille, déglacer à l’eau de vie, puis ajouter les aubergines et les tomates confites … le genièvre et le poivre. Laisser réduire et verser le fond du gibier sur cette réduction et continuer la cuisson jusqu’à l’obtention d’une sauce qui nappera le tout.

 

Vite, il faut rattraper la passion qui fuit, cette chaleur qui me gonflait le cœur et qui semble s’être égarée dans ce dédale d’attentes et de déceptions. Tout n’est pas perdu mais aux grandes évidences du début je ne peux que substituer des émotions compliquées, des plaisirs attendus, des habitudes anesthésiantes.

La nuit s’est à nouveau installée. J’ouvre les fenêtres. D’un revers de main, je me protège de la lumière de la lune. Quelques nuages passent, poussés par le vent d’hiver. Les yeux dans le vague, je suis le vol de quelques chauves-souris. Je me retourne vers la salle … tout est prêt.

Le vin ? Du vin de Moldova, aussi âpre que son sol. Quel millenium … pardon, quel millésime ?

Au centre de la table j’ai déposé l’immense plat. La tête de la biche prolonge son cou glacé dans sa gangue de caramel et de fruits rouges. Les flammes des bougies font vibrer les carafes de vin et d’eau de vie des prunes de l’été. La salle est sombre, seul un halo doré semble promettre et attendre.

Le vent redouble. J’avais à peine entendu les chevaux. Elle est là.

Comment suis-je ? Je passe devant tous les miroirs, mais il est impossible de me recoiffer.

Elle monte les escaliers. Ses talons claquent sur les marches de pierre.

Moi, je pense au dessert et à sa gorge blanche.

 

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19 février 2011 6 19 /02 /février /2011 11:25

 

Premier atelier : recette du jour

 

Les enfants adorent; les miens, ceux des autres... Chaque fois que l'on se réunit pour un repas de famille, ils en réclament. Lorsque je n'ai pas le temps ou le courage de faire mon gâteau au chocolat, en aucun cas, une forêt noire achetée chez un pâtissier ne saurait le remplacer. La preuve en est: je mange alors de la forêt noire toute la semaine.

Tout a commencé autour d'une table à la campagne. Une fin de repas sous l'ombre d'un vieux saule: la fraîcheur de l'air ravivait les rires. Des cris d'enfants suffisamment lointains pour ne pas interférer nous laissaient sereines tandis que nous sirotions un dernier verre de Saint Emilion. Le temps s'étirait et l'instant du dessert approchait: un gâteau au chocolat apporté par Chantal activa nos papilles et notre curiosité. L'ambiance était chaleureuse, la transmission entre copines de recettes séculaires procurait un plaisir clanique. On trouvait vite une feuille, un crayon gris et Chantal nota consciencieusement, en commentant:

 

  •  
    • Une plaquette chocolat noir 250 grs (personne ne la reprit)

    • Beurre 250 grs

    • Sucre 250 grs

    • 50 grs Farine

    • 6 œufs

    • Poudre d'amande 50 grs

 

Aujourd'hui les enfants ont grandi, et nous continuons à nous retrouver sous le vieux saule. Pour la nième fois, j'ai confectionné mon gâteau, en relisant ce papier un peu chiffonné, maculé de taches translucides. Devant une tablée de personnes conquises, c'est aujourd'hui mon tour de commenter cette recette avec laquelle j'ai pris quelques libertés.

 

Il faut commencer par tout rassembler. Avant d'entreprendre la confection même, les ingrédients sont conditionnés, prêts à se rendre utiles. Le chocolat, marque choisie à minima 70% de cacao, est réduit en carré pour un futur bain-marie. Les œufs préférentiellement de ferme sont dissociés en jaunes et blancs. Cette tache mille fois accomplie est toujours un challenge. Le reste est pesé, dans l'attente d'être appareillé.

Incorporer 200 grammes de sucre à 200 grammes de beurre. J'ai pris la liberté de diminuer les proportions. Le « trop sucré » écœure et le « trop beurré » peut poser des limites quant aux parts que l'on s'autorise à découper. C'est toujours pareil avec le trop. Mieux vaut l'éviter. Le beurre est ramolli en pommade, grâce à un petit détour au micro ondes: 30 secondes, pas une de plus. Ultime écart aux préconisations de Chantal: je laisse tomber les amandes. Pourtant l'élève a rattrapé le maître comme elle me l'avouera plus tard. Une reconnaissance de ses pairs agit comme un exhausteur de goût.

 

Faire fondre le chocolat au bain-marie : jolie formule référence gardée à l'alchimiste Marie la juive qui vécut en Alexandrie au IIIème siècle avant notre ère. Sur le gaz, la petite casserole est posée en équilibre dans la grande. Une spatule en bois permet de remuer, jusqu'à obtenir une masse fluide à l'éclat soyeux. Après qu'elle ait légèrement refroidi, on l'incorpore au mélange beurre-sucre. Avec un chocolat quelconque la pâte prendrait un aspect granuleux comme si elle refroidissait trop vite et se prenait en masse. Ici comme dans toutes circonstances la qualité prévaut. La cuisine est une alchimie subtile.

 

Ajouter ensuite les jaunes d'œuf : leur couleur soutenue tranche avec l'ambré du chocolat. Ce jaune soleil n'est pas sans évoquer celui dégoulinant le long du muret de pierres sèches qui entourait la ferme où nous nous rendions, ma sœur et moi, pour acheter nos œufs. La fermière nous en donnait toujours un ou deux de plus, au cas où l'un d'eux ne serait plus mangeable. Il faut dire que parmi les œufs ramassés chaque jour aux quatre coins des granges, certains pouvaient être oubliés et découverts longtemps après avoir été pondus. Riches de ces œufs surnuméraires, nous décidions d'en éclater un contre un mur. Nous voulions observer l'effet produit par la masse visqueuse explosant hors de sa coquille. L'espace de quelques instants, nous retenions notre souffle dans la crainte de voir s'écraser l'embryon d'un poussin insuffisamment couvé. D'un geste rapide comme volé à l'innocence, nous accomplissions notre forfait, se jurant de le garder secret. Nous savions notre geste grave dans un environnement où l'on refusait de jeter le moindre morceau de pain à la fin d'un repas, comme aux temps de disettes ancestrales.

 

Verser en pluie cinq cuillères à soupe rases de farine, ingrédient que je manipule sans grand plaisir. Il épaissit tant la pâte qu'elle devient difficile à travailler mais il faut pourtant tourner longtemps... Alors je change de bras, maudissant la tendinite qui m'handicape depuis des mois. Tout ça pour avoir ramassé les feuilles du jardin pendant des heures. Décidément, il est trop étendu mon jardin! On a parfois des velléités de grandeur qui se révèlent tôt ou tard envahissantes.

 

Un demi sachet de levure à incorporer dans l'onctueux mélange chocolaté. Je me souviens de l'erreur commise gamine – je devais avoir 10 ans – lorsque j'ai ajouté de la levure à une mousse au chocolat. La crème travestie était posée sur le rebord de la baignoire dans la salle de bain servant de pièce réfrigérée. Je jetais régulièrement un coup d'œil en espérant voir la crème doubler de volume, bref, faire ce qu'était sensé produire la levure. Dans mon inconscience, j'avais cru pouvoir corriger le faible volume des blancs battus en neige manuellement. Cette erreur m'a poursuivie, un reproche fait à moi-même qui a sans doute contribué à me détourner de tout attachement culinaire.

Monter les blancs en neige. Lorsque je cuisine, la radio est allumée. Entrelardé entre deux émissions, Hervé This, le cuisto chimiste explique comment savoir si les blancs sont suffisamment fermes: retourner au dessus de la tête le récipient contenant la douce neige. Rien ne tombe, rien ne frémit, la récompense est là. Pas compliqué: l'ovalbumine, protéine du blanc d'œuf va être déstructurée par le battement du fouet et donner cette sorte d'émulsion nuageuse, de l'air s'incorporant entre les chaînes protidiques. On y tremperait volontiers le doigt avant de le porter à la bouche. Promesse de plaisir rapidement déçue par la légère âpreté du blanc d'œuf. En avez vous déjà gouté?

 

Ajouter les blancs en neige au mélange chocolaté. Méthodiquement, les retourner sans les casser. Expression énigmatique s'il en ait: comment peut-on casser une texture aérifère alors que dans le pire des cas elle redevient légèrement visqueuse? Ah! les mots, leur exactitude, leur finitude, leur signification fluctuant en fonctions des circonstances. Comment s'approprier une langue dans ces moindres subtilités? Un lexique des termes culinaires serait le bienvenu!

 

Enfin, verser la pâte dans le moule beurré à bords cannelés. Celui ci doit être assez profond, sans trop, de façon à ce que le gâteau ne cuise pas à cœur. Selon un mouvement ondulatoire, la masse chocolatée tombe mollement dans le récipient en terre cuite. Une légère secousse des poignets finit de bien répartir la pâte dans le récipient en terre que je m'apprête à enfourner: 200°C pendant 10 minutes, puis 10 minutes supplémentaires à four entr'ouvert. C'est bien la seule recette que je connaisse qui demande de cuire dans un four ouvert.

 

Et voici le meilleur pour la fin: le plat à nettoyer ! Si les enfants ne sont pas là, c'est moi qui ai ce privilège. Je lèche avec plaisir mon doigt maculé de crème soyeuse, seule, en toute intimité.

 

 Deuxième atelier 
 

Pas saccadés,

Sac à main en bandoulière,

Je me balade.

Un badaud m'agresse:

Pris la main dans le sac!

Dès demain, saccager son audace !

 

Comme celle de la chatte têtue,

Tête en l'air,

L'air noiraud,

Qui s'affale sur le châle poilu.

Nom d'un chat !

Faut la châtier !

 

Déni d'autorité et déni de silence !

Reniflements, sifflements....

Je mens si j'y consens! Crie ou renie !

 

Ma vieille, t'es à côté de la plaque !

Un plaqueminier côte à côte avec un cocotier:

Pourquoi ne pas plaquer une noix sur un kaki!

 

Et faire comme si,

Comme si ce que j'écris était stylé,

Laid ou beau. Bof! Je m'en fous. Ou pas...

 

Pas saccadés,

Sac à main en bandoulière,

Je me balade.

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3 janvier 2011 1 03 /01 /janvier /2011 17:13

Atelier sur deux séances.

 

Il s’agira d’écrire une « nouvelle » sur le principe suivant. Vous avez des invités ou un(e) invité(e) et vous souhaitez leur cuisiner un plat original, singulier. Vous pensez à un plat qui, dans votre passé, vous a marqué pour une raison ou une autre (il peut s’agir d’un plat qui a été préparé lors d’une grande occasion ou bien d’un plat que votre mère (ou quelqu’un d’autre) vous préparait quand vous étiez enfant et qui ne se cuisine plus, pour X raisons (ce n’est plus la mode, on ne trouve plus ce type d’ingrédients…). Il peut aussi s’agir par antiphrase d’un plat très banal aucun vous allez ajouter une touche d’originalité. Exemple : un œuf à la coque, mais truffé… Il peut y avoir un côté humoristique, ou ascétique, quelque chose de l’ordre de la recherche dans l’élaboration de votre plat. On peut y retrouver des tournemains, des savoir-faire, des trucs familiaux…

 

La proposition d’écriture sera la suivante :

Le texte suivra la recette, chaque temps de préparation généralement résumé en une ligne dans une recette type, faisant l’objet d’un court « chapitre ».

On distinguera :

-         le choix de la recette (avec recherches dans un livre de cuisine) ;

-         l’achat des ingrédients ;

-         la préparation ;

-         la cuisson.

 

L’intérêt de l’exercice, comme c’est le cas dans La Seiche de Maryline Desbiolles, est d’assaisonner, d’entrelarder votre texte de souvenirs, sentiments, sensations, réflexions… qui font surface au fil de la préparation… Il sera intéressant de travailler sur la métaphore (en lien avec le plat), sur la songerie, la rêverie liées à cette instant, mais aussi sur ce qui motive votre choix (le passé, bien sûr), mais aussi vous, et le ou les personnes à qui vous destinez cette préparation et pourquoi à eux (à elle, à lui) précisément ?

 

Pour cet atelier, il faut donc réfléchir à cette recette, la retrouver si vous ne la connaissez pas.

Je vous fournis un lexique de cuisine qu’il faudra utiliser aussi bien comme termes culinaires que dans un emploi métaphorique. Je parle de métaphore. En effet, en cuisine il est question de transformation d’un produit brut en un produit élaboré, paré, bien différent du produit d’origine. De même, en écriture, la métaphore est le passage d’un sens à un autre par une opération personnelle fondée sur une impression ou une interprétation

 

Vous trouverez également le texte en PDF du début de La Seiche, de Maryline Desbiolles. Je vous fournirai un lexique des termes culisaires.

 

Je vous conseille de consulter des sites (par exemple : et des livres de cuisine, mais ce sera l’une des phases de notre atelier, lors de la première séance.

 

 Enfin, il sera bon de méditer ces phrases écrites par Virginia Woolf à la fin de Son journal d’écrivain :

 

Non, je n’ai aucune arrière-pensée d’introspection. Je retiens seulement la phrase d’Henry James : « Observez perpétuellement. » […]

Et maintenant je m’aperçois, non sans plaisir, qu’il est sept heures, et que je dois préparer le dîner. Haddock et chair à saucisse. Il est vrai je crois, que l’on acquiert une certaine maîtrise de la saucisse et du haddock en les couchant par écrit.

 

Je ne sais pas  si Virginia Woolf était bonne cuisinière, en tout cas elle sait de quoi elle parle en matière de "cuisine" littéraire... 

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20 décembre 2010 1 20 /12 /décembre /2010 15:32

 Christian

 

 VARIATION EN JE

 

« L’o … po … po … max, c’est quoi ça ? » Je lui arrache la feuille des mains. « C’est pour mon atelier d’écriture, ce soir … » Je voulais imprimer les textes discrètement sur la laser du premier … c’est raté « Ah ! Encore un truc d’intellos … m’étonne pas » Je file dans mon bureau … je dois lire tout ça et je rentre dans l’eau froide. Je glisse un œil dans le premier texte … c’est fini, je suis dedans.

Maintenant les idées s’entrechoquent « qu’est-ce qu’il veut nous faire voir ? » … tiens, j’en profite pour aller voir sur Wikipedia qui est Monique Wittig : ce soir je pourrai jouer celui qui sait.

Je suis chez moi. Je continue à lire les textes tout en essayant de retenir la viande hachée dans la tortilla. J’ai bien peur que ce soir encore mon appareil digestif trouble les instants de silence. Moins quatre, je suis en retard.

J’aime le premier instant, la redécouverte, l’attente aussi. Et même l’appréhension. Mon texte, ma pelote de laine. Je sais que si j’attrape le bout du bout je n’aurais plus qu’à tout dérouler … Tiens, y’a un nœud. Je vis deux mondes : celui de ma feuille de papier et celui de … j’ai envie de citer chaque prénom. Je veux continuer à dérouler ma pelote et je voudrais capter chacun d’entre eux.

C’est l’heure et j’ai le tournis. J’enfile mon imper comme un automate. D’une image à l’autre, je ne vois plus rien de la salle. Il paraît qu’il fait froid. Non, ma voiture est par là. Tiens, je suis déjà chez moi.

J’ai repris le stylo, ce texte je le tiens, ce n’est pas possible d’attendre demain. Et puis je le relis à haute voix. Y’a pas de honte à se prendre pour Flaubert. Non, c’est nul. Non, c’est bon.

Oui, je ne suis plus là.

 

 VARIATION EN IL OU ELLE

 

Elle est toute en longueur. Quand elle arrive, on dirait un serpent qui se déploie de son œuf. Elle s’étale comme une hydre et sans le moindre bruit, ouvre son ordinateur, dépose son chapeau, s’assied en repliant ses jambes et d’un regard circulaire, hypnotise toute la salle.

Un vent de Sibérie l’entoure, et tout d’un coup … sa voix … lentement, d’un accent accrocheur … un peu comme la flute dans la danse macabre.

Et, pareille à un personnage de Tim Burton, elle parle voluptueusement d’acide et de mort.

 

 VARIATION EN ON

Alors ? On fait quoi ? … Ben, on est là pour écrire et on va s’y mettre. Tout de suite … bientôt … On prend le stylo, on sussotte le capuchon, on corne le coin de la page … Et on écrit les premiers mots : « Ce … matin … » On pense au lapin qui a tué le chasseur … On vient à bout de la première phrase et on ne peut plus s’arrêter. On dirait un orchestre d’instruments silencieux et tous en cadence. On plonge, on ressort, on respecte la consigne, on épie son voisin, on … mais surtout, on n’est pas là pour se faire engueuler...

 

  Renaud 

 

VARIATION EN JE

J-3 Je clique sur le favori « dirlici ». Je découvre le sujet du prochain atelier d'écriture. Ouah ! Super ! R. nous a mis les références et le sujet. Comme d'hab je n'y comprends rien. Comme d'hab je me promets de lire les textes et les ouvrages. Plus que trois jours pour lire « à la recherche du temps perdu » : pas de problème. 

J0 H + 5 minutes. Aujourd'hui je n'ai pas trop de retard. Super. Je retrouve les acolytes. Super. Bisous. Poignées de mains. Discussions. R. prend la main. Dit les consignes. Redit les consignes. Re redit les consignes. Punaise, ça va pas être du gâteau. Silence général. C'est parti. Ouf, ce soir n'est pas un soir de blocage. J'arrive à gratter mon papier. Les consignes sont moins bloquantes que je ne le pensai. Certaines d'entre elles, comme d'hab, titillent l'imagination. Je jette une longue phrase à rallonge sur le papier. Super. Je relis. Zut. C'est moche. Je gomme et je recolle des bouts de phrases comme je peux. J'entends le bruit des crayons et stylos de mes acolytes de plus en plus en plus fort. Zut, chacun semble super inspiré. Stop. R. nous arrête. Déjà. J'essaye de finir ma phrase, voire mon texte. Je lis ma production, comme chacun. Je suis plutôt fier, sans être, quand même, sûr de moi à 100 %. J'écoute les autres. Discussions. Rires. Rebisous. Re poignées de mains. A la prochaine. 

J+1 Je relis mon texte : comme à chaque fois (ou presque) mon texte est incompréhensible. Je ne peux pas l'envoyer comme ça à R. 

J+3 (ou + 4 ou + 7 ou ...) : voilà c'est ce soir que je reprends mon texte ; je suis prêt ; je me lance ; le plaisir d'écrire est là ...voilà le texte est fini, je le lance dans le tube vers R. 

 

VARIATION EN IL OU ELLE

 

Elle m'estampe ! Elle écoute la consigne sans en donner l'impression. Elle fait rire l'assistance par une de ses anecdotes et a noirci déjà une demi-page quand je finis péniblement ma première ligne. Elle m'énerve ! Elle ne relit même pas la consigne alors que je n'arrête pas de  parcourir pour trouver l'inspiration. Elle est maintenant en train de corriger son texte. Il me reste encore presque la moitié du texte à écrire (une des consignes de ce soir concerne la longueur du texte). Elle interpelle maintenant l'animateur avec humour pour faire respecter la consigne de durée. Chouette, elle vient de me donner l'inspiration pour atteindre dans les délais, la durée du texte. La petite touche finale. C'est ça, le travail de l'atelier d'écriture : un travail individuel, solitaire, difficile, ingrat même mais magnifié par l'apport de l'autre, par le collectif des auteurs en herbe que nous sommes. Elle est vraiment trop forte. 

 

VARIATION EN ON

 

On n'est pas là pour se bouffer le nez. On est là pour créer. Créer quoi ? Des textes « littéraires ». Bigre ... et comment ? Simple. On a un gars, sympa, qui bosse pour nous. Ça s'appelle un animateur d'atelier d'écriture. Il nous prépare les consignes qu'il nous met sur le site et qu'il nous explique en début de séance. On l'écoute plus ou moins attentivement. Même si on n'a pas tout saisi, on se lance. On produit alors les textes. Puis on se les lit, en rigolant plus ou moins. Souvent on les travaille après coup, puis on les envoie à notre gars sympa et basta. C'est fini. Pas plus compliqué que ça. 

  

 Cécile  

 

 VARIATION EN JE


19h45. Fin de mon cours de gym. Plus que quinze minutes avant le début de l'atelier. Une minute trente pour récupérer ma bouteille, mon manteau, trouver mes clés au fond de ma poche, oui mais quelle poche, courir vers ma voiture. Trois minutes pour remonter, une minute de plus si le feu est rouge. Sauter sous la douche, cinq minutes pour me laver se sécher m'habiller, fissa fissa. Vite enfiler mes chaussures, engloutir un bout de fromage attrapé au passage, et hop....
Dix minutes de retard ! Et zut, encore raté. Mais mes neurones sont échauffées par ces récentes poussées d'adrénaline, alors je sens que ce soir, l'inspiration, c'est pour moi. Non mais. Allez, qui dois-je imiter aujourd'hui ? Mc Carthy, Céline, Perec, Mishima ? Rien ne me fait peur. Les maîtres, nous, on les maîtrise.
Pif paf, je pique une feuille, un stylo, m'imprègne des consignes, je lève le nez, ferme les yeux, et sens comme une chaleur m'envahir. Même, une illumination. Mes amis, si vous n'avez jamais pratiqué l'exercice d'écriture sous la contrainte, vous ne pouvez pas comprendre.

C'est simple : je sais tout, je vois tout, je peux tout, j'écris tout ! Les mots fusent dans mon cerveau ma main court sur le papier, le silence qui règne parmi mes camarades est source de volupté, nous nous élevons au-dessus de notre condition humaine, chaque esprit voyage dans des imaginaires cosmiques, des univers inter-galactiques, dans l'infini de la pensée !

Ah, quels instants magiques... Je me délecte de cette construction littéraire toujours nouvelle, et à chaque fois, je me surprends moi-même. Quelle imagination. Quelle aisance... Quelle virtuosité ! Quelle intelligence du langage ! Et quel humour, ah !

Puis, c'est la phase de lecture à haute voix de nos productions, le tour de table final. Nous nous précipitons pour lire nos textes, car chacun est impatient de partager son œuvre. Mais je prends patience, et je porte une oreille admirative à ce que mes camarades ont eux-même écrit. Comment ont-ils pu penser, imaginer tout cela ? Je suis espantée.

Mon tour venu, je m'éclaircis la gorge pour déclamer mes mots... qui me paraissent tout à coup moins virevoltants... hum, beaucoup moins intelligents... cette liaison n'est pas fluide... cette réflexion est déplacée... cette tirade est débile ! Mama mia, mais qu'ai-je écrit là ? Hélas, encore un autre texte bon pour la poubelle...


TEXTE EN IL OU ELLE


J-3. Il reçoit le mail annonciateur de consignes de R.
Illico, il imprime, lit, retient, et comprend chaque subtilité. Les textes référence, il les connaît déjà tous. Mieux, il les a dans sa bibliothèque et pourrait presque les réciter et pourquoi pas en faire une analyse textuelle et philosophique.
H -1 : Il relit les consignes, encore. Il a déjà des idées en pagaille, un plan, un style, une syntaxe originale, des personnages, une histoire, une chute !
19:59 - Il se gare sur le parking de la médiathèque. Crrrr, frein à main.
20:00 - Il pousse la porte et s'installe sur sa chaise. Le dos droit. Tout le monde est en retard. Mais il ne râle pas. Car c'est un gentleman.
20:30 - Il écrit, quand R. le lui dit.
20:45 - Il a fini son texte. Pas une rature, pas une feuille froissée. Son plan, il l'avait, il l'a suivi. Son écriture est impeccable, son respect des consignes incroyable. Il a su utiliser les exemples données par R. pour changer son style d'écriture. Parfois c'est une réelle métamorphose du genre qu'il réussit. Une œuvre d'art. Il ne grimace pas quand le sérieux de l'assemblée est au plus bas. Il reste imperturbable, concentré, prêt à enchaîner sur la deuxième partie de l'atelier, prêt à écrire un roman pourquoi pas.
22:30 - Papiers rangés, style plume fermé, il s'en va, tranquillement, sans un bruit, son texte très abouti, impatient d'être au prochain atelier.

Mais qui est ce bougre d'énergumène ? Le participant idéal de R. ? Ou une pure invention littéraire ?


TEXTE EN ON


On l'a voulu cet atelier, et on l'a eu. Alors maintenant, il faut se mouiller, se lancer, oublier nos "je" et penser à l'écriture. Se servir de la force du groupe, des idées de chacun, les faire germer dans cette cervelle du "on". Pas facile ! Mais on va y arriver.
On a déjà brillamment vaincu des consignes autrement plus ardues que celle-ci, comme par exemple : "réinventez l'écriture spontanée de Haïkus sur le thème du trolley ovarien conjugué à l'autobiofiction de la métamorphose du type nouvelle poulpeuse pour illustrer le texte intense".
Alors là, écrire trois textes de longueur différente pour raconter notre vision et vie à l'atelier, on vous le dit tous en choeur : "du gâteau" §

 

 

  Bérengère 

 

 

VARIATION EN JE

 

Il fait froid, la nuit est depuis longtemps tombée et pourtant la journée n’est pas terminée…. Déjà 19h30 ! Rentrer à toute vitesse en respectant le code de la route me semble une véritable gageure. Est – ce que mes feux de signalisation fonctionnent correctement car la lumière me semble bien vacillante ? Pourquoi tout ce monde sur la route ? Evidemment, le feu passe au rouge ! Enfin, Castanet Tolosan à l’horizon ! Le petit parking me tend les bras, je me jette sur la place toute riquiqui qu’ont bien voulu me laisser les autres usagers … Misère, le créneau s’impose ! Courage ! Après 8 manœuvres, la perte de 2 litres de sueur, je cours vers la porte d’entrée… « Comment pas encore passés sous la douche, vous le faites exprès ! Vous savez que je vais à l’Atelier ce jeudi ! ». Tant pis, un coup d’œil rapide dans le frigo. Pas très glorieux ! « Ce sera des restes, ce soir ». Et, j’improvise un pique nique que je ne savourerai que par la pensée car il est 20h05 : ce qui signifie que je suis en retard, pour ne pas changer !

Me voilà de retour dans mon congélateur, lapsus : ma voiture, dont le chauffage ne se remet à fonctionner qu’à partir du printemps. Je ressemble à mon arrière grand – mère conduisant son antique Torpédo, toute emmitouflée avec mes gants, mon écharpe triple épaisseur et surtout mon poncho me servant de couverture de survie pour éviter que l’air frais ne transforme mes mollets en congères. L’envie d’écrire par une température en dessous de zéro, il faudra que je me creuse la tête pour la retrouver. Ma seule envie, c’est tout simple : me retrouver sommeillant sous ma couette au duvet à l’épaisseur XXL avec un thé bien chaud à la bergamote dans une main et un bon roman dans l’autre…

Mais voilà la Médiathèque qui se profile devant mes yeux. Evidemment, ils sont tous arrivés à l’heure, eux ! Bon, alors, petit débriefing pour se rattraper avant d’entrer dans la fosse aux lions. Oui mais voilà, je n’ai fait que survoler le sujet comme d’habitude ! De toute façon, R. aime bien la difficulté et adore tout particulièrement nous expliquer en long et en large en quoi elle consiste. Alors, pas de regrets, je vais lui laisser ce plaisir…. « Bonsoir, désolée d’être en  retard…… ».

 

VARIATION EN IL

 

R. est déjà en grande conversation… Il présente le thème de ce soir : bien alambiqué comme il les aime…. Au milieu d’une cacophonie de bruissement  de photocopies, il laisse ses consignes faire leur chemin dans notre esprit et s’empresse de distribuer la documentation. Comme d’habitude, il s’est trompé, soit, il en manque, soit, il y en a beaucoup trop, ce n’est pas grave : c’est pour la Mairie ! A sa décharge, de toute façon, il est vrai que le nombre de participants à l’atelier est inconstant. Mais le principal n’est –il pas que notre production demeure constante. Ce qui n’est pas une chose aisée vu ses choix thématiques ! J’espère qu’ils sont en rapport avec le diplôme universitaire qu’il passe, sinon, son cas me semble bien désespéré et je lui laisse volontiers sa bibliothèque.

De quels auteurs allons- nous nous inspirer ce soir ? Imperturbable, tout à son élan créatif, il n’a pas remarqué que quelque uns d’entre nous ont la tête ailleurs…. N’avait-il pas parlé d’une surprise à l’occasion de ce dernier atelier de décembre : des petits chocolats peut-être…mais rien ne vient…allons bon, il ne nous aurait pas mené en bateau le bougre ! Ravalons notre salive, il ne perd rien pour attendre : l’atelier dure au moins 2 bonnes heures !

Ses yeux pétillent de malice en nous énumérant les pièges du sujet, fier de ses trouvailles littéraires. Il faut reconnaître qu’il sait nous intéresser. Cet atelier d’écriture porte sa marque : grande ouverture d’esprit, écoute mutuelle et éternelle bonne humeur. Après un immense moment de solitude, chacun se lance…. Essaie de se dépasser… un pur moment créatif, un pur moment récréatif. Malgré les difficultés littéraires, la réalité fait place à une grande intériorité, une immersion au sein de notre conscience du monde et de notre ressenti. Pas de honte, pas de gêne à la lecture à haute voix, qui demeure cependant un temps de haute voltige. L’écoute des uns et des autres estompe nos différences et celles – ci, au contraire, sont les bienvenues et nous enrichissent en tant que pierres angulaires au fondement de cette aventure scripturale. Merci R.

 

VARIATION EN ON

 

L’instant T , on y est… Loin de l’angoisse de la page blanche, l’idée de noircir des feuilles de papier ne nous a pas effrayés, loin de là. On se torture les méninges, on cogite…. On se laisse emporter par l’impression d’avoir compris le sujet, l’envie de s’exprimer sur un thème qui jusque là nous semblait difficilement abordable. Un  monde étranger étonnement proche cependant, fait de souvenirs de lectures,  de réminiscences d’expériences vécues… Et, on se jette à l’eau ! La Médiathèque résonne soudain d’un profond silence que seul le grattement énergique de plume de certains ou occasionnel d’autres semble interrompre. On se concentre, on sort de son quotidien pour entrer timidement dans le bestiaire magique d’un vrai écrivain… Soudain, on ne contrôle plus rien, les mots se bousculent et prennent vie bien malgré nous. Un torrent de pensées bouscule notre esprit, son débit est si puissant que nous peinons à tout retranscrire. L’urgence se fait ressentir. Disparaissent les dernières inhibitions… On s’enfonce de plus en plus profondément en terre inconnue. Le plaisir de jouer avec la langue française est démultiplié… On s’approprie les rimes, les syntaxes, la prose d’autrui, on invente un nouveau sens au réel… Et, de même, la réalité quitte son manteau d’unicité pour devenir le miroir de chaque sensibilité… L’intersubjectivité faisant écho à notre imaginaire devient un cheminement intérieur vers notre vérité intrinsèque… Je Suis. On Est. Libéré ( s) de toute contingence. Plus de contrainte, que le besoin qui nous a réuni et  l’énergie que nous déployons pour lui faire prendre forme, le faire éclore. L’atelier d’écriture devient Maïeutique…

On en sort fourbu mais repu. Le monstre à plusieurs cerveaux a donné naissance à un groupe qui inter réagit, qui s’enrichit du savoir de tous et peut légitimement prendre sa place, sans honte ni orgueil mal placé au sein de la communauté des aventuriers et amoureux de  l’écriture.

 

 

  

 

 

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