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24 juin 2009 3 24 /06 /juin /2009 12:40

Extrait d’Exercices de style, de Raymond Queneau, p.7 et p.111

[Gallimard, 1947]

 

 

Notations

 

Dans l'S, à une heure d'affluence. Un type dans les vingt-six ans, chapeau mou avec cordon remplaçant le ruban, cou trop long comme si on lui avait tiré dessus. Les gens descendent. Le type en question s'irrite contre un voisin. Il lui reproche de le bousculer chaque fois qu'il passe quelqu'un. Ton pleurnichard qui se veut méchant. Comme il voit une place libre, se précipite dessus.

Deux heures plus tard, je le rencontre Cour de Rome, devant la gare Saint-Lazare. Il est avec un camarade qui lui dit : « Tu devrais faire mettre un bouton supplémentaire à ton pardessus. » Il lui montre où (à l'échancrure) et pourquoi.

 

 

Lipogramme

 

Voici.

Au stop, l'autobus stoppa. Y monta un zazou au cou trop long, qui avait sur son caillou un galurin au ruban mou. Il s'attaqua aux panards d'un quidam dont arpions, cors, durillons sont avachis du coup; puis il bondit sur un banc et s'assoit sur un strapontin où nul n'y figurait.

Plus tard, vis-à-vis la station saint-Machin ou saint-Truc, un copain lui disait : « Tu as à ton raglan un bouton qu'on a mis trop haut. »

Voilà.

 

 

Exercices de style raconte 99 fois la même histoire, de 99 façons différentes.

Dans un bus, le narrateur rencontre un jeune homme au long cou, coiffé d'un chapeau. Ce jeune homme échange quelques mots assez vifs avec un autre voyageur, puis va s'asseoir. Un peu plus tard, le narrateur revoit ce jeune homme en train de discuter avec un ami. Celui-ci lui conseille de faire remonter le bouton supérieur de son pardessus.

Brillant exemple d'application d'une contrainte littéraire en tant que moteur créatif, ce livre est précurseur de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) dont Raymond Queneau, romancier, poète et amoureux des sciences, sera l'un des fondateurs. La présence d'une deuxième contrainte (chaque version de l'histoire doit illustrer un genre stylistique bien particulier) apparaît à la lecture des titres des 99 versions de l'histoire :

 

Notations, En partie double, Litotes, Métaphoriquement, Rétrograde, Surprises, Rêve, Pronostications, Synchyses, L'arc-en-ciel, Logo-rallye, Hésitations, Précisions, Le côté subjectif, Autre subjectivité, Récit, Composition de mots, Négativités, Animiste, Anagrammes, Distinguo, Homéotéleutes, Lettre officielle, Prière d'insérer, Onomatopées, Analyse logique, Insistance, Ignorance, Passé indéfini, Présent, Passé simple, Imparfait, Alexandrins, Polyptotes, Aphérèses, Apocopes, Syncopes, Moi je, Exclamations, Alors, Ampoulé, Vulgaire, Interrogatoire, Comédie, Apartés, Paréchèses, Fantomatique, Philosophique, Apostrophe, Maladroit, Désinvolte, Partial, Sonnet, Olfactif, Gustatif, Tactile, Visuel, Auditif, Télégraphique, Ode, Permutations par groupes croissants de lettres, Permutations par groupes croissants de mots, Hellénismes, Ensembliste, Définitionnel, Tanka, Vers libres, Translation, Lipogramme, Anglicismes, Prosthèses, Épenthèses, Paragoges, Parties du discours, Métathèses, Par devant par derrière, Noms propres, Loucherbem, Javanais, Antonymique, Macaronique, Homophonique, Italianismes, Poor lay Zanglay, Contre-petteries, Botanique, Médical, Injurieux, Gastronomique, Zoologique, Impuissant, Modern style, Probabiliste, Portrait, Géométrique, Paysan, Interjections, Précieux, Inattendu.

 

 

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24 juin 2009 3 24 /06 /juin /2009 12:32

Extrait de La Modification, de Michel Butor, p.12 à 15

[éd. de Minuit, 1957]

 

«  Assis, vous étendez vos jambes de part et d'autre de celles de cet intellectuel qui a pris un air soulagé et qui arrête enfin le mouvement de ses doigts, vous déboutonnez votre épais manteau poilu à doublure de soie changeante, vous en écartez les pans, découvrant vos deux genoux dans leurs fourreaux de drap bleu marine, dont le pli, repassé d'hier pourtant, est déjà cassé, vous décroisez et déroulez avec votre main droite votre écharpe de laine grumeleuse, au tissage lâche, dont les nodosités jaune paille et nacre vous font penser à des œufs brouillés, vous la pliez négligemment en trois et vous la fourrez dans cette ample poche où se trouvent déjà un paquet de gauloises bleues, une boîte d'allumettes et naturellement des brins de tabac mêlés de poussière accumulés dans la couture.

Puis, saisissant avec violence la poignée chromée dont le noyau de fer plus sombre apparaît déjà dans une mince déchirure de son placage, vous vous efforcez de fermer la porte coulissante, qui, après quelques soubresauts, refuse d'avancer plus loin, au moment même où apparaît dans le carreau à votre droite un petit homme au teint très rose, couvert d'un imperméable noir et coiffé d'un chapeau melon, qui se glisse dans l'embrasure comme vous tout à l'heure, sans chercher le moins du monde à l'élargir, comme s'il n'était que trop certain que cette serrure, que cette glissière ne fonctionneraient pas convenablement, s'excusant silencieusement, avec un mouvement de lèvres et de paupières à peine perceptible, de vous déranger tandis que vous repliez vos jambes, un Anglais vraisemblablement, le propriétaire sûrement de ce parapluie noir et soyeux qui raie la moleskine verte, qu'il prend en effet, qu'il dépose, non point sur le filet mais au-dessous, sur la mince étagère faite de tringles, ainsi que son couvre-chef, le seul dans ce compartiment pour l'instant, un peu plus âgé que vous sans doute, son crâne bien plus dégarni que le vôtre.

A droite, au travers de la vitre fraîche à laquelle s'appuie votre tempe, et au travers aussi de la fenêtre du corridor à demi ouverte devant laquelle vient de passer un peu haletante une femme à capuchon de nylon, vous retrouvez, se détachant à peine sur le ciel grisâtre l'horloge du quai où l'étroite aiguille des secondes poursuit sa ronde saccadée, marquant exactement huit heures huit, c'est-à-dire deux pleines minutes de répit encore avant le départ, et sans cesser de tenir serré dans votre main gauche le volume que vous avez acheté presque sans vous arrêter dans la salle des Pas Perdus, vous fiant à sa collection, sans lire son titre ni le nom de l'auteur, vous découvrez à votre poignet jusqu'alors caché sous la triple manche blanche, bleue et grise, de votre chemise, de votre veston, de votre manteau, votre montre rectangulaire fixée par une courroie de cuir pourpre, avec ses chiffres enduits d'une matière verdâtre qui brille dans la nuit, qui marque huit heures douze et dont vous corrigez l'avance.

Dehors, une voiture à accumulateurs se fraye un chemin sinueux parmi la grise foule affairée, encombrée, qui s'émeut, qui s'embrouille dans ses conciliabules et ses adieux, tendant l'oreille aux bribes de paroles déformées que déversent les haut-parleurs, puis l'autre train s'ébranle dans le bruit, ses wagons verts passant les uns après les autres jusqu'au dernier qui, se retirant comme la frange d'un rideau de théâtre, ouvre à vos yeux, comme une scène immensément allongée, un autre quai populeux avec une autre horloge et un autre train immobile qui, lui, ne partira vraisemblablement qu'une fois que le vôtre aura quitté la gare.

Vos paupières, vous avez du mal à les tenir ouvertes, votre tête à la redresser; vous voudriez vous enfoncer dans l'encoignure, y creuser avec votre épaule un trou confortable, mais votre dos se tord en vain, puis il est pris par la secousse et le remuement.

L'espace extérieur s'agrandit brusquement; c'est une locomotive minuscule qui s'approche et qui disparaît sur un sol zébré d'aiguillages; votre regard n'a pu la suivre qu'un instant comme le dos lépreux de ces grands immeubles que vous connaissez si bien, ces poutrelles de fer qui se croisent, ce grand pont sur lequel s'engage un camion de laitier, ces signaux, ces caténaires, leurs poteaux et leurs bifurcations, cette rue que vous apercevez dans l'enfilade avec un bicycliste qui vire à l'angle, celle-ci qui suit la voie n'en étant Réparée que par cette fragile palissade et cette étroite bande d’herbe hirsute et fanée, ce café dont le rideau de fer se relève, ce coiffeur qui possède encore comme enseigne une queue de cheval pendue à une boule dorée, cette épicerie aux grosses lettres peintes de carmin, cette première gare de banlieue avec son peuple en attente d'un autre train, ces grands donjons de fer où l'on thésaurise le gaz, ces ateliers aux vitres peintes en bleu, cette grande cheminée lézardée, cette réserve de vieux pneus, ces petits jardins avec leurs échalas et leurs cabanes, ces petites villas de meulière dans leurs enclos avec leurs antennes de télévision.

La hauteur des maisons diminue, le désordre de leur disposition s'accentue, les accrocs dans le tissu urbain se multiplient, les buissons au bord de la route, les arbres qui se dépouillent de leurs feuilles, les premières plaques de boue, les premiers morceaux de campagne déjà presque plus verte sous le ciel bas, devant la ligne de collines qui se devine à l'horizon avec ses bois.

Ici, dans ce compartiment, bercés et malmenés par le bruit soutenu, par sa profonde vibration constante soulignée irrégulièrement de stridences et d'hululations en touffes épineuses, les quatre visages en face de vous se balancent ensemble sans dire un mot, sans faire un geste, tandis que l'ecclésiastique de l'autre côté de la fenêtre, avec un léger soupir d'exaspération, referme son bréviaire relié de cuir noir souple, tout en gardant son index entre les pages à tranche dorée comme signet, laissant flotter le mince ruban de soie blanche.

Soudain tous les regards se tournent vers la porte que d'un seul coup d'épaule, sans apparence d'effort, ouvre en grand un homme rougeaud, essoufflé, qui a dû monter dans le wagon juste au moment où le train s'ébranlait, qui lance dans le filet une valise bombée, un paquet grossièrement sphérique enveloppé dans un journal et maintenu par une ficelle dépenaillée, puis s'assoit à côté de vous, déboutonnant son imperméable, croisant sa jambe droite sur sa gauche, et tirant de sa poche un hebdomadaire de cinéma à couverture en couleurs dont il se met à examiner les images.

Son profil épais vous masque celui de l'ecclésiastique dont vous ne voyez plus que la main posée sur l'appui de la fenêtre, les doigts tremblant à cause du mouvement général, l'index frappant doucement, machinalement, silencieusement au milieu du bruit, la longue plaque de métal vissée sur laquelle s'étale, vous le savez (puisque vous ne pouvez pas vraiment la lire, que vous pouvez seulement deviner à peu près une à une quelles sont ces lettres horizontales qui vous apparaissent si écrasées, si déformées par la perspective), l'inscription bilingue : « Il est dangereux de se pencher au dehors — E pericoloso sporgersi. »

 

 

Dans la Modification, un homme se trouve dans le train Paris-Rome ; il a pour but de compte rejoindre sa maîtresse. Michel Butor a recours à un  vouvoiement qui oblige le lecteur à s'identifier au personnage, à se sentir concerné par les idées qui viennent sans cesse à l’esprit du personnage, dont le cheminement de pensée, ses réflexions et ses multiples décisions, lesquelles changent au fur et à mesure du voyage, qui est en quelque sorte un « trajet de vie »

 

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24 juin 2009 3 24 /06 /juin /2009 12:10

 

 

Extrait de La Disparition de Georges Perec, p. 17 à 20 [Denoël, 1969]

 

Qui, d'abord, a l'air d'un roman jadis fait où il s'agissait d'un individu qui dormait tout son saoul

Anton Voyl n'arrivait pas à dormir. Il alluma. Son Jaz marquait minuit vingt. Il poussa un profond soupir, s'assit dans son lit, s'appuyant sur son polochon. Il prit un roman, il l'ouvrit, il lut ; mais il n'y saisissait qu'un imbroglio confus, il butait à tout instant sur un mot dont il ignorait la signification.

Il abandonna son roman sur son lit. Il alla à son lavabo ; il mouilla un gant qu'il passa sur son front, sur son cou.

Son pouls battait trop fort. Il avait chaud. Il ouvrit son vasistas, scruta la nuit. Il faisait doux. Un bruit indistinct montait du faubourg. Un carillon, plus lourd qu'un glas, plus sourd qu'un tocsin, plus profond qu'un bourdon, non loin, sonna trois coups. Du canal Saint-Martin, un clapotis plaintif signalait un chaland qui passait.

Sur l'abattant du vasistas, un animal au thorax indigo, à l'aiguillon safran, ni un cafard, ni un charançon, mais plutôt un artison, s'avançait, traînant un brin d'alfa. Il s'approcha, voulant l'aplatir d'un coup vif, mais l'animal prit son vol, disparaissant dans la nuit avant qu'il ait pu l'assaillir.

 

Il tapota d'un doigt un air martial sur l'oblong châssis du vasistas.

Il ouvrit son frigo mural, il prit du lait froid, il but un grand bol. Il s'apaisait. Il s'assit sur son cosy, il prit un journal qu'il parcourut d'un air distrait. Il alluma un cigarillo qu'il fuma jusqu'au bout quoiqu'il trouvât son parfum irritant. Il toussa.

Il mit la radio : un air afro-cubain fut suivi d'un boston, puis un tango, puis un fox-trot, puis un cotillon mis au goût du jour. Dutronc chanta du Lanzmann, Barbara un madrigal d'Aragon, Stich-Randall un air d' Aida.

Il dut s'assoupir un instant, car il sursauta soudain. La radio annonçait : « Voici nos Informations ». Il n'y avait aucun fait important : à Valparaiso, l'inauguration d'un pont avait fait vingt-cinq morts ; à Zurich, Norodom Sihanouk faisait savoir qu'il n'irait pas à Washington ; à Matignon, Pompidou proposait aux syndicats l'organisation d'un statu quo social, mais faisait chou blanc. Au Biafra, conflits raciaux ; à Conakry, on parlait d'un putsch. Un typhon s'abattait sur Nagasaki, tandis qu'un ouragan au joli surnom d'Amanda s'annonçait sur Tristan da Cunha dont on rapatriait la population par avions-cargos.

A Roland-Garros, pour finir, dans un match comptant pour la Davis-Cup, Santana avait battu Darmon, six-trois, un-six, trois-six, dix-huit, huit-six.

Il coupa la radio. Il s'accroupit sur son tapis, prit son inspiration, fit cinq ou sit tractions, mais il fatigua trop tôt, s'assit, fourbu, fixant d'un air las l'intrigant croquis qui apparaissait ou disparaissait sur l'aubusson suivant la façon dont s'organisait la vision :

 

Ainsi, parfois, un rond, pas tout à fait clos, finissant par un trait horizontal : on aurait dit un grand G vu dans un miroir.

Ou, blanc sur blanc, surgissant d'un brouillard cristallin, l'hautain portrait d'un roi brandissant un harpon.

Ou, un court instant, sous trois traits droits, l'apparition d'un croquis approximatif, insatisfaisant : substituts saillants, contours bâtards profilant, dans un vain sursaut d'imagination, la Main à trois doigts d'un Sardon ricanant.

Ou, s'imposant soudain, la figuration d'un bourdon au vol lourd, portant sur son thorax noir trois articulations d'un blanc quasi

Son imagination vaquait. Au fur qu'il s'absorbait, scrutant son tapis, il y voyait surgir cinq, six, vingt, vingt-six combinaisons, brouillons fascinants mais sans poids, lapsus inconsistants, obscurs portraits qu'il ordonnait sans fin, y traquant l'apparition d'un signal plus sûr, d'un signal global dont il aurait aussitôt saisi la signification ; un signal qui l'aurait satisfait, alors qu'il voyait, parcours aux maillons incongrus, tout un tas d'imparfaits croquis, dont chacun, aurait-on dit, contribuait à ourdir, à bâtir la configuration d'un croquis initial qu'il simulait, qu'il calquait, qu'il approchait mais qu'il taisait toujours :

un mort, un voyou, un auto-portrait ;

un bouvillon, un faucon niais, un oisillon couvant son nid ;

un nodus rhumatismal ;

un souhait ;

ou l'iris malin d'un cachalot colossal, narguant Jonas, clouant Caïn, fascinant Achab : avatars d'un noyau vital dont la divulgation s'affirmait tabou, substituts ambigus tournant sans fin au tour d'un savoir, d'un pouvoir aboli qui n'apparaîtrait plus jamais, mais qu'à jamais, s'abrutissant, il voudrait voir surgir.

Il s'irritait. La vision du tapis lui causait un mal troublant. Sous l'amas d'illusions qu'à tout instant son imagination lui dictait, il croyait voir saillir un point nodal, un noyau inconnu qu'il touchait du doigt mais qui toujours lui manquait à l'instant où il allait y aboutir.

Il continuait. Il s'obstinait. Fascination dont il n'arrivait pas à s'affranchir. On aurait dit qu'au plus profond du tapis, un fil tramait l'obscur point Alpha, miroir du Grand Tout offrant à foison l'Infini du Cosmos, point primordial d'où surgirait soudain un panorama total, trou abyssal au rayon nul, champ inconnu dont il traçait l'inouï littoral, dont il suivait l'insinuant contour, tourbillon, hauts murs, prison, paroi qu'il parcourait sans jamais la franchir...

 

 

Membre de l'Oulipo, Georges Perec considérait les contraintes formelles comme un stimulant pour l'imagination. Dans La Disparition, il a choisi le lipogramme pour écrire une œuvre originale, dans laquelle la forme est fortement liée au fond. En effet, la disparition de cette lettre e est au cœur du roman, dans son intrigue même ainsi que dans son interrogation métaphysique, à travers la disparition du personnage principal, au nom lui-même évocateur : Anton Voyl. Le lecteur suit les péripéties des amis d'Anton qui sont à sa recherche, dans une trame proche de celle du roman policier.

Absence, vide, manque, silence, énigme sont les thèmes principaux de ce livre fondé sur le jeu et le défi technique.

Les thèmes de la disparition et du manque sont extrêmement liés à la vie personnelle de Georges Perec, particulièrement la perte de sa mère déportée lorsqu'il avait sept ans.

 

 

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16 juin 2009 2 16 /06 /juin /2009 22:24

Thème

 

  Itinéraire en exercices de style, sous le signe de la modification et de la disparition  

 

Dans un premier temps, retracer un trajet quotidien dans Labège (pour aller au travail, pour emmener ses enfants à l’école, pour aller faire ses courses, une promenade…). L'écriture se fera en deux temps : d'abord en balisant son  trajet à l'aide de mots repères, sur le mode de la notation rapide ; ensuite, en un seul jet, en se laissant porter... Penser à divers points sur lesquels fonder son trajet :

le déplacement dans l’espace – les tableaux successifs – aller retour mental de l’intérieur (les passagers, le conducteur) vers l’extérieur (la route, la circulation, le paysage). – le temps qui passe, qui stresse, qui presse – les pensées que génèrent ce mouvement et ce temps...


 Consigne à respecter   

 

Le texte de référence étant un extrait de la Modification de Michel Butor, on écrira ce texte à la deuxième personne du pluriel (vous) (qui est en fait un tu de politesse) et au présent.

 

 Deuxième phase de l'exercice 
 

Dans un second temps, on procède à la modification du texte en passant de la deuxième personne à la troisième personne du singulier et au passé. Il conviendra alors de donner un nom au "vous" , de le baptiser en tenant compte de la consigne qui suit.

 

Il est alors temps de procéder à la disparition, par la contrainte du lipogramme.

Il s’agit de réécrire le même texte sans une seule fois utiliser la lettre  « e »

 

Textes de référence :
Exercices de style de Raymond Queneau  [EXTRAIT]
 
La Disparition de Georges Perec [EXTRAIT] 
La Modification de Michel Butor
[EXTRAIT]  

   
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8 juin 2009 1 08 /06 /juin /2009 21:08

intitulé de l’atelier :  Passage / rencontre

   

   Le texte de Renaud

Certaines personnes traversent  leur vie sans ressentir aucun problème existentiel, pour d'autres c'est exactement le contraire : de la naissance à leur mort ils sont englués dans ce type de difficultés. Une autre catégorie existe : les personnes qui passent la première partie de leur vie dans le mal-être permanent et qui, un jour, à l'occasion d'un évènement particulier sentent que le poids considérable qui pèse sur eux va disparaître. Maintenant. Demain. Dans dix ans. Ils ne savent pas quand, mais ils savent que ce mal-être permanent va laisser place à un plaisir de vivre définitif. Ils auront envie de sourire sans raison et le feront sans arrière-pensée. J'appartiens à cette catégorie. L'événement fondateur de cette nouvelle vie fut une rencontre avec un homme, rencontre qui ne dura pas plus de temps que ne brûle une cigarette.

C’était un jour de juin. Je vivais à Labège depuis peu. J’étais parti à la découverte du village. Le soleil allait se coucher dans moins d'une demi-heure. L’atmosphère était moite. L'air lourd, sans un souffle d'air. Des trouées colorées de rose perçaient à travers les nuages. J’avais traversé la place Saint-Barthélemy et longé le restaurant qui se préparait à ouvrir, et contourné l’église en prenant l’impasse Coutouriou ; je me trouvai maintenant sur un petit parking que je ne connaissais pas. Un gamin sur son vélo rouge me frôla à toute vitesse, longea l’église et disparut au coin. Cette scène ne me procura aucune émotion particulière. Le parking était presque désert. Une seule voiture y était garée.

Le village n’avait a priori pas pu se développer au-delà de ce petit parking. Peut-être pour cause de risques d'inondation car c'était là, m'avait-on dit, qu'étaient située, autrefois, la zone marécageuse de la vallée de l'Hers. Seules quelques maisons avaient pu être construites récemment dans ce coin du vieux Labège. La lumière était diaphane, d'un blanc cotonneux uniforme, sans relief. Mon regard fut attiré sur ma gauche par une luminosité plus forte. Là, à quelques dizaines de mètres de l’église, non loin de la place du vieux village, subsistaient des champs et cette percée  campagnarde dans le paysage urbain m’attira. Je vis qu’un chemin de pierres me permettait de continuer ma promenade dans cette direction. A son entrée, deux vieux arbres, placés sur la droite du chemin, portaient chacun un panneau. L’un indiquait que la voie était sans issue, l’autre que la voie était privée. Je constatai que le haut des arbres était taillé très régulièrement. Les oiseaux chantaient extrêmement fort. Je regrettai de ne pas pouvoir en reconnaître un seul. Je m’engageai dans le chemin.

Sur la droite, une haie d'arbustes très dense empêchait toute incursion dans le jardin d'une maison, certainement la dernière de ce bout du village. Sur la gauche,  deux vieux fils électriques parallèles, tendus entre de courts piquets en bois défraîchi, délimitaient un petit champ non cultivé depuis longtemps, aux hautes herbes jaunies par les premières chaleurs. Mon tee-shirt collait à ma peau. L'humidité dans l'air augmenta subitement. Après seulement quelques mètres, le chemin faisait une courbe. Je m'y engageai. Quitter aussi brusquement l'environnement urbain pour cette petite parcelle de nature me déconcerta. Dès que la courbe fut dépassée, je vis la haute barrière métallique qui obstruait le passage et devant laquelle se tenait un homme.

Le vent était toujours inexistant. Immobile, le corps légèrement penché en avant, l'homme avait appuyé ses deux coudes sur la plus haute travée de la barrière située un peu en dessous de la hauteur de ses épaules. Un petit sac à dos de voyage pendait au poteau qui séparait les deux éléments de la haute barrière métallique. Je le voyais de dos. Il ne m'avait certainement pas entendu arriver. Je m'arrêtai et écrasai sans faire de bruit un moustique qui venait de me piquer à la jambe et décidai aussitôt de faire demi-tour et je vis les deux chevaux, le brun et le blanc, tourner au coin du champ, se dirigeant vers l'homme et s'arrêtant à environ cinquante mètre devant lui là où du foin avait été placé en leur intention. Je fis les quelques pas jusqu'à la barrière et me plaça à la droite de l'homme en observant le cheval blanc tourner en cercle autour de son compagnon qui lui, immobile, avait baissé sa fine encolure pour commencer à manger. J'appuyai moi aussi mes coudes sur la traverse du haut. Nous avions la même taille. Je ne me souviens plus comment il était. Je n'avais aucunement envie d'engager la conversation. Les échanges artificiels m'étaient insupportables à cette époque. Cet homme ne m'intéressait pas.

De si jolis chevaux, l'entendis-je murmurer...l'homme se tourna vers moi. Il sortit un paquet de cigarettes de sa poche et m'invita à en prendre une. Je déclinai son invitation sans rien dire et portai mon attention sur les chevaux. J'entendis une allumette craquer et un bruit d’aspiration d'air, celle de la première bouffée. Je sentis son regard sur moi. Je décidai de l'ignorer. Il me posa une question étrange.

Pourquoi t'es ici ?
Je ne suis pas d'ici. Je ne fais que passer.
L'homme tira sur sa cigarette. Moi aussi, dit-il. C'est pareil pour moi.
Pourquoi lui avoir dis que je n'étais pas d'ici ? Je tournai la tête et le regardai et fus frapper par le la transparence de son regard et le sourire qu'il me donna fit bouger quelque chose en moi.  J'essayai de me concentrer sur le paysage qui s'offrait à nous.

Le chemin qui j'avais emprunté continuait après la barrière sur une trentaine de mètres et tournait sur la gauche. Une rangée de hauts arbres enchevêtrés les uns dans les autres succédait à la barrière électrique et empêchait de voir où le chemin aboutissait. Certainement pas très loin. Sur ce même côté, a gauche, un filet d'eau, difficile à franchir car encaissé plus profond qu'un fossé ordinaire, sortait d'une buse en béton. Le champ où les chevaux mangeaient était situé un peu plus loin, sur la droite et donnait sur le chemin avant que celui-ci ne prenne son virage. La haie de droite qui délimitait le jardin était toujours infranchissable et s'arrêtait à l'entrée du champ des chevaux. En temps normal, j'aurai fait immédiatement demi-tour : mon sentiment d'oppression quasi permanent aurait été décuplé par cet endroit confiné ;  la trouée vers le ciel dans la haie du fond, ne m'aurait pas aidé à diminuer ce malaise. Le cheval blanc avait fini de tournoyer et avait placé sa tête sous le cheval brun. Le bruit d'une autoroute arrivait jusqu'ici, affaibli mais très reconnaissable.

Il m'interrogea  de nouveau.
Tu habites ici ?
Oui, à quelques pas de là.  Au bout du village que tu viens de traverser. Et toi ? Rajoutai-je après une courte hésitation.
Oh, moi ! Là-bas. Ses yeux s'élevèrent vers la trouée au dessus de la haie du fond.
C'est  loin chez toi ?
Oui très. Il tira une nouvelle fois sur sa cigarette. J'y retourne très bientôt.

Puis il me demanda si je connaissais ces chevaux. Je lui dis que non. Que je venais d'arriver ici. Que les chevaux m'étaient  inconnus. Il m'a dit qu'il les connaissait très bien. Qu'il avait appris à les connaître quand il était enfant. Quand il vivait dans d'immenses espaces. J'étais fasciné et je ne bougeai pas et j'aurai pu l'écouter pendant des heures et j'eus l'impression que beaucoup de temps était passé quand je repris mes esprits et sa cigarette n'était pourtant consommée qu'au deux tiers quand il s'arrêta de parler.

Son sac à dos était accroché à un des deux cadenas qui fermaient les deux grosses chaînes métalliques ceinturant les deux battants métalliques. Le sac était en cuir ocre, élimé. La pierre était accrochée au dessus du sac par un fin lacet noir, passé par le trou parfaitement rond de sa partie la plus fine. La pierre était oblongue, d'une couleur ocrée et pouvait être contenue dans un poing serré et je me demandai si je pouvais trouver un de nos galets avec cette  finesse dans la texture et dont la couleur pouvait se rapprocher de cet orangé, tenant plus du végétal que du minéral, et je savais bien que non. J'aimai beaucoup caresser du doigt les galets usagers que je récupérai de ci de là lors de mes promenades solitaires. J'imaginai le plaisir unique de caresser cette pierre-ci. Je ne pus m'empêcher de l'interroger.
Cette pierre me parait extraordinaire.
Elle l'est.
Tu l'as trouvé où ?
Dans les Blacks Mountains.
Tu as l'air d'y tenir. Elle représente quoi pour toi ?
Le souvenir du passage.
Quel passage ?
Le passage vers la clarté. La clarté du dedans.

Je n'y comprenais rien. Cette conversation n'avait ni queue, ni tête. Je décidai d'y couper court et de prendre le chemin du retour ; je  lui demandai s'il avait besoin d'aide pour ce soir et il me dit que non et il me sourit. Il tira une dernière fois sur sa cigarette et la jeta dans le filet d'eau sur sa gauche. Je me retournai en le saluant et retourna au petit parking.  Les cris des crapauds se mélangeaient aux chants des oiseaux qui avaient baissé d'intensité. La chaleur était moins oppressante et je me demandais bien pourquoi. J'entendis des voix venant du jardin de derrière la haie. Au moment où je sortais du chemin empierré pour regagner le bitume, le gamin au vélo rouge me fit faire un bond de côté. Il avait élargi son circuit aux limites extérieures du parking et je ne l'avais pas vu arriver. Et il y a peu je l'aurais invectiver. Je me surpris à sourire.

En laissant retomber mon bras droit que j'avais levé sous le coup de cette surprise, ma main effleura quelque chose de dur placé dans ma poche que je savais vide. Je m'arrêtai. Je sortis la pierre trouée de ma poche et la mis dans ma paume et serra le poing. La sensation que je ressentais était exactement celle que j'avais imaginé en la découvrant sur le sac de l'homme. Je décidai de la lui ramener.

L'homme n'était plus devant le portail cadenassé. Je restai un moment devant la barrière me demandant si j'avais rêvé. Puis je me tournai sur la gauche et je vis le mégot jeté par l'homme flotté sur le filet d'eau qui longeait le chemin. Je me rappelai ses étranges dernières paroles. La clarté. La clarté du dedans.


  Le texte de Gaëla

 
  La nuit est presque tombante. Chaque pas alourdit mon corps. Dans cet entre-deux, je me souviens de la raison pour laquelle je suis ici. Mon souffle perd de l'ampleur, ma vue sa profondeur de champ. C'est comme si mon cerveau s'absentait de moi-même et ma conscience se dissolvait dans la série un peu disparate des éléments qui m'environnent. Je perçois au loin un mince clapotement qui me ramène à un état primitif - à cet état d'avant l'action. Soudain me vient à l'esprit l'idée que je ne suis plus de ce monde, que je suis un autre, ou que d'autres me supplantent pour être rendus visibles au monde entier. Je me perds en conjectures, oubliant ma fuite, devenue fortuite, accidentelle. Des herbes sauvages me cisaillent les chevilles, folles à lier dans cette torpeur qui me lie à moi-même. Jamais je ne me serais douté. Ma nuque, dans un fléchissement sonore, stoppe le mouvement indolent de mes pas -menant mon corps sur sa pierre d'achoppement. L'herbe rasée du lointain de ces champs laisse percevoir une campagne qui s'est tue. Et qui meurt. Je ne verrai plus de ces couchers de soleil qui me ravissaient tant. Quand soudain ma conscience s'accélère, et je reprends ma fuite.

Je cours, blessé, une main sur l'épaule. Perçois à travers la moiteur de ma main une opacité que je crois reconnaître ; ils m'ont bien eu, les salauds! Ma main tâchée d'un sang noir et épais. Et quel est l'autre salaud qui nous a dénoncés. Le soleil couchant sera ma défaite. L'opération de sabotage a échoué. Maintenant il faut filer au plus vite. A travers les broussailles, je me love et essaie de ne pas perdre de vue la voie de chemin de fer. J'entends encore les chiens hurler à la mort. J'ai mal, j'ai peur. Là-bas, une échappée possible ; j'aperçois une trouée sous la voie ferrée : probablement celle qui est mentionnée sur le plan ; c'est le chemin que je dois emprunter pour rejoindre Castanet, notre lieu de repli. Il me reste encore quelques mètres, mais je m'essouffle et ralentis ma course. A l'horizon se dessinent les champs de colza qui semblent se refléter dans le ciel ; deux étendues planes qui réduisent ma ligne de fuite. Je lève les yeux au ciel. Je marche à présent, difficilement. Parvenu à l'endroit du tunnel, je m'effondre. Ma main engourdie ne suffit plus à stopper le sang qui s'échappe de ma poitrine. Je déchire mon pantalon, et cette nouvelle pression m'éloigne de la perception que j'ai de mon corps et de ma souffrance ; quand j'entends un craquement proche. Une silhouette se dessine dans le jour finissant, je n'espère plus rien, ne parviens pas à distinguer l'uniforme : ami ou ennemi, proche ou lointain. Ma conscience se décompose. Les pas se rapprochent, l'homme se poste devant moi, tel le golem des récits de mon enfance. Pourquoi t'es venu ici? Je ne suis pas venu ici. Je ne fais que passer, répondis-je d'un air hagard. L'homme tira sur sa cigarette. Moi aussi, dit-il. C'est pareil pour moi. Je ne fais toujours que passer. D'ailleurs je ne suis que passage, pur passage, articule-t-il dans un ricanement sonore. C'est un homme sans âge ; quelques rides profondes strient son visage et marquent son histoire. Du haut de mes dix-sept ans, je pressens que le combat est inégal. Adossé à la paroi du souterrain, il me scrute, tout en restant attentif aux variations de la pénombre. Il doit venir d'un endroit plus proche encore que celui que son corps habite. L'obscurité n'a pas l'air de lui faire peur tandis que pour moi, elle est une menace. "Que préfères-tu?" me dit-il : "Une partie d'échec, un conseil avisé, une énigme à résoudre?" Je ne parviens pas à prendre la mesure de ce qu'il me dit, quand soudain son cynisme m'apparaît avec clairvoyance comme un signe de reconnaissance, comme la seule échappatoire possible. Toute crainte s'est évanouie. J'attends, et cette attente n'est fractionnée par aucune seconde. Le temps n'a plus prise sur moi. J'écoute. De nouveau il va parler. "Tu vois, comme toi j'achève ma course - pour aujourd'hui. Passe ton chemin. Je m'en vais habiter d'autres corps, je m'en vais habiter d'autres lieux. Passe ton chemin. Passe ton chemin. Demain tout cela ne sera plus que vestiges d'une humanité perdue". Ses yeux oscillent de l'espace que j'occupe aux parois du tunnel, dilatant ainsi mon dedans. Puis son regard se pose, lumineux, sur une suite de signes gravés dans la pierre brute ; il cligne des yeux, très lentement, comme pour me signifier que la clef réside là, au creux d'interstices muets transpirant d'humidité. Je comprends le lien qui existe entre l'apparition de cet homme et mon destin. Je n'ai pas échoué. Je renaîs à moi-même, dans le souvenir de cet alphabet perdu enfoui au plus profond de moi.

L'homme écrase sa cigarette au sol, me toise de son regard d'acier, puis me contourne pour se dissoudre dans la nuit. C'est fini. Je suis libre. Libre, serein, de la liberté du dormeur du val, de la sérénité de mes dix-sept ans retrouvés.

 


  Le texte de Corinne

Voilà, ma journée est finie. Je file à La Cadène, retrouver Alice, ma chérie qui y loue une chambre d’étudiant. Il y a un étage pour les filles et un pour les hommes, je dois donc m’y faufiler en toute discrétion. Ah ! L’amour, ça me donne des ailes. Je tourne  au carrefour qui relie la voie rapide, la route de Baziège et le centre du village de Labège. Je quitte le trafic routier et son environnement sonore  et  me dirige par l’Occitane vers le lycée  où la verdure est déjà annonciatrice de bien-être. Je laisse ma voiture le long du self, afin de ne pas me faire remarquer. Je suis léger comme une plume. Je réfrène mon envie de chanter. Mince, un gars est là dans le soir tombant.  Il est trop tard pour faire demi-tour.  Il m’interpelle.

-        Pourquoi t’es venu ici ?

-        Je ne suis pas venu ici. Je ne fais que passer.

 L’homme tira sur sa cigarette. – Moi aussi, dit-il, c’est pareil pour moi.

-         C’est faux tu loges ici. Moi, je ne fais que passer !

-         Passer où ? La route s’arrête ici ! On peut y venir puis en partir, mais ce n’est pas un passage.

-         Mais tout est passage, la vie est un passage. Cette entrée est un passage.

-         Tu fais  psycho, ou quoi ?

-         Dis donc, tu commences à me plaire…

               Un silence assourdissant se jeta entre nous. Je fis quelques pas sans trop m’éloigner du bâtiment car la nuit était tombée et la présence de cet homme devenait  pesante. De temps en temps, furtivement je l’observais. Très carré, la trentaine, il fumait rageusement en tenant sa cigarette le poing fermé. Il faisait frais et l’homme ne semblait pas vouloir bouger.  Le règlement est strict, si on me voit entrer dans la chambre d’Alice, elle peut  être renvoyée.

            Deux jeunes s’approchèrent, regardèrent  l’homme avec insistance puis passèrent leur chemin. Une voiture lentement  se gara face à l’homme, fit des appels de phares mais mon voisin resta immobile adossé au mur. Visiblement, j’étais de trop. N’aimant pas les problèmes, je m’éloignais.

-  Salut, lançais-je.

-  Salut, bougonna t-il en éjectant son mégot à terre.

            L’idée me vient d’un autre passage à l’opposé. J’entreprends donc de faire le tour du bâtiment en forme de U en le contournant. Je marche dans la nuit, un train de marchandises fracassa le calme.  Je n’y vois rien et me guide entre le mur en crépi et la butte herbeuse qui longue la voie ferrée. Demain c’est la fête des mères, j’irai voir maman. Les herbes sont hautes et humides. J’imagine Alice se brossant les cheveux comme chaque soir puis se les tressant  telle une indienne. Je vais évidement  louper ce moment magique, si plein de sensualité et de douceur.  J’accélère la cadence, j’aimerai pouvoir chanter, mais il me faut rester discret.  Voilà le deuxième angle dépassé et j’aperçois la forme sombre de la serre.  Le prochain angle est légèrement éclairé par la cour. Je pense alors que j’ai oublié mon sac dans la voiture. Tant pis. Ce soir Rolland Garros est sur la 2 et Alice n’a pas la télé.  Je m’étonne moi-même de choisir de ne pas voir les matchs et préférer vivre ce gymkhana pour les beaux yeux d’Alice. Encore dans la pénombre, je sors mon portable et joins Alice.  C’est le répondeur…

-  Allo, ma déesse, j’arrive. Dernière longueur, je touche au but. Je longue la façade, tous les volets sont fermés. Personne ne  se trouve près de la porte mais des voix et des cris me parviennent.    

         Je cours mais juste devant la porte, mon téléphone sonne et sa mélodie stridente me semble une trahison dans ma stratégie de passer inaperçu.  Une bande d’excités sortent de je ne sais où et en moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, l’homme à la cigarette m’alpage violement  en vociférant. Un autre, au nez cassé attrape mon portable et le fracasse à terre. Je reçois des coups.  Je ne perçois plus les visages mais le bas de jeans et de  volumineuses Caterpillar qui s’enfoncent dans mes côtes. Quelques volets s’ouvrent et j’en profite pour m’échapper.  Je repars en direction de la serre, la dépasse, grimpe le monticule herbeux et commence à courir le long de la voie.  Je pense que la bande a abandonnée lorsque j’aperçois l’un deux  à une dizaine de mètres. Puis un second. Et puis les deux autres. Je voudrai m’expliquer mais mon instinct me dit de filer. Je redescends en direction du village à travers champs, passe le rond-point puis emprunte en courant le chemin du collège Périgord. Je fais une halte, haletant près du Tricou mais la bande est toujours à mes trousses et me pousse à déguerpir. Si je trouve une maison ouverte, j’y  demanderai asile. La rue du Bardou, me fit penser à mon grand-père qui aimait me donner l’origine des noms.  Je traverse la place et pénètre dans les jardins de la maison Salvan qui est jonché de fenêtres. Je n’ai pas le temps d’y réfléchir. J’aurai préféré des portes, des portes ouvertes sur une aide.  Je me faufile dans l’impasse du Moulin à Pastel, si vivante avec au plein milieu un escabeau et plus loin un jouet d’enfant. Mais où est ce petit et où est ce bricoleur ?  Ma respiration est si forte que je redoute qu’elle ne me fasse repérer. Je passe une manche sur mes yeux pour éponger la sueur qui me trouble la vue. Enfin, j’essaye d’écouter les indices sonores de mes poursuivants. Je n’entends que mon cœur qui bat et au loin une famille qui joyeusement dessert la table. J’envie leur insouciance. Au 13 de la rue de l’Ancien Château, je trébuche devant la maison aux volets bleus, fais une pause au 17 au pied d’un portique aux deux boules blanches puis au 19 à l’angle de la rue d’Occitanie, mes pieds s’enfoncent dans l’asphalte fraichement étalée.  Je file à travers les logements HLM, m’engouffre dans le souterrain et me traine jusqu’au centre commercial, désert à cette heure ci. Miracle un bus s’arrête, et je m’y engouffre.  Le chauffeur doit me demander si tout va bien ; et lorsqu’il tourne route de Labège,  j’aperçois au loin l’homme et sa bande. Que me voulaient-ils ? Que faisaient-ils ?
 Je me dirige vers Toulouse.

Et mon esprit se vide. Tant d’idées se sont imposées en plein action suivant le tempo de mon activité physique.  Avachi sur la banquette, me laissant balloter, mon rythme cardiaque en pleine accalmie, une seule pensée me vint ; en fait, c’est ce soir que je souhaiterai la fête des mères.

 


Le texte de Jannick 
 

    La bête avait soif…Un vampire qui réclame ses litres de sang plomb. Il fallait la satisfaire très vite à en croire la jauge, et dans mon propre intérêt…Je quittai donc la départementale à la hauteur du village de Labège vers un petit centre commercial en bord de route. Un endroit comme il en existe partout, sans âme, désert à cette heure que les anciens appellent «  entre chien et loup ». Quelques réverbères à la lumière jaunâtre éclairaient radinement la station service au doux nom de « Kaï Service » écrit en couleurs flashy. Deux pompes à essence vert- pomme, un panneau d’affichage des prix de même couleur, le tout souligné de rouge et jaune. Louable effort pour créer une ambiance joyeuse, mais c’était tout sauf ça…Juste un endroit de passage, passage obligé qui plus est, pour pouvoir continuer à tracer la route.

Je sortis de la voiture, mis ma carte bancaire dans la fente surmontée d’un grand CB, tapai le choix de carburant et laissai le cordon ombilical déverser son sang plomb.
J’eu soudain l’impression étrange de faire de la figuration dans une scène que je connaissais par cœur…un homme seul dans une station service, pas âme qui vive autour de lui et ces couleurs criardes qui n’arrivaient pas à donner le change… Où avais-je déjà vu tout ça ? Ou bien l’avais-je déjà vécu ? Comme dans ces récits de
phénomènes paranormaux qui tantôt me font hurler de rire et tantôt me glacent  l’échine. Cela me revint tout à coup… Hopper ! Le fameux tableau qui toujours m’a fasciné, comme s’il parlait de moi, d’un pan de ma vie dont j’ignorai encore tout mais qui m’attendait quelque part… Je secouai la tête pour chasser ce malaise qui m’envahissait. Hopper, avait peint des pompes à essence rouge vif et non vert pomme…rien à voir, juste une ambiance assez proche pour être troublante.

Je m’efforçai de regarder autour de moi. A droite de la station service, la Banque Populaire avait tenté un look architecture branchée  tempérée de briques pour la couleur locale. Toutes les fenêtres étaient obstruées par des stores à lamelles. Une seule lumière éclairait un distribank installé dans un renfoncement.

En face, la BNP-Paribas affichait une mine plus modeste que sa concurrente, sans doute pour reconquérir la confiance du client. Une accroche publicitaire proclamait « Ne faites plus un projet sans nous en parler ! ». Il n’y a que les banquiers pour avoir une telle arrogance…

À l’entrée du petit centre commercial, une cabine de photos d’identité en libre service. Et juste à côté, un vidéo-club vous mettait en garde «  N’oubliez pas vos DVD dans le distributeur ! ». Tout ça évoquait furieusement la chaleur humaine…

C’est alors que je le vis, il me tournait le dos, occupé à retirer sa commande au distributeur du video-club. Avant même qu’il se retourne, je l’avais reconnu. Il me fit face et s’avança lentement vers moi. Cette démarche claudicante, cette mèche de cheveux gras éternellement plaquée sur son front…J’arrêtai le distribution du sang plomb et remis le bouchon. Il était déjà près de moi.

Pourquoi t’es venu ici ?

Je ne suis pas venu ici, je ne fais que passer.

L’homme tira sur sa cigarette.

Moi aussi, dit-il. C’est pareil pour moi. Je ne suis que le passeur de message

Il me tendit le DVD.

Un film de Hitchcock avec le titre en noir sur fond rouge…
«  La mort aux trousses ».

 

 


  Le texte de Sébastien

 

 Ma dernière chance de quitter ce monde approchait et le Portail restait hors de vue. Mes indications le situaient près du cimetière du village, six pieds sous la voie ferrée. Le site réputé dangereux, je scrutai les haies du cimetière, les taillis et les herbes hautes en bordure du remblai du chemin de fer, nerveux à l’idée de ce qui pouvait s’y tapir plutôt qu’à la vue des tombes. Je m’engageai sur une bande de terrain, prise entre la clôture du cimetière et le pierrier raide de soutènement des rails, et suivis les lignes d’herbes jaunies, crachées par la tondeuse, jusqu’aux frondaisons où le rapport marquait l’emplacement de la dernière embuscade en date. Le crépuscule portait les chants sereins des merles dans l’air tiède et les compteurs monotones des criquets ne relevaient aucune activité. Je peinai à imaginer un Veilleur des Seuils ramper sous le feuillage et entre les hautes herbes laissées en bordure, tant aspirait à la paix ce bout de couloir de la mort. Une aire circulaire, recouverte d’une mince couche de fumier, parfaitement déplacée sur le gazon, marquait cependant le dernier repas d’un Veilleur, récent d’après l’humidité résiduelle de ses reliefs. Je trouvai un passage au milieu des herbes parsemées d’orties et d’orge sauvage, foulées par un rassurant pied humain. La sente gravissait ensuite le remblai et semblait éviter le ruisseau qui s’écoulait en murmures tranquilles en aval.

Le Portail se dévoila enfin, correctement indiqué sous les rails. Son iridescence verdâtre lançait des reflets chatoyants sur les murs incurvés du tunnel sombre au milieu duquel il flottait. Le tunnel datait d’au moins la dernière guerre mondiale et criait des âmes torturées alors, non comestibles pour le Veilleur. Un étroit quai de ciment longeait chaque rive et marquait mes pas d’un écho malvenu. Au bout du tunnel, une volée circulaire de marches suivie d’une sente de terre escarpée me mena sur les rails sur les flancs desquels le soleil couchant se reflétait. Aucun signe de Veilleurs sur la piste du dernier clandestin en partance à ma connaissance. Un train lourd et rapide provoquerait bientôt un remous particulier dans le champ électromagnétique local qui déclencherait l’ouverture unique du Portail, le temps qu’un seul Voyageur s’y glisse puis il cesserait d’exister, hormis sous la forme de subtiles fluctuations quantiques rémanentes hors du champ de perception humaine. Je redescendis sans bruit dans le tunnel au bout duquel retentit le bruit d’une conversation féminine et gaie. Je me préparai à affronter les importunes mais les voix refluèrent bientôt à mon soulagement. Soudain, je sentis l’odeur de tabac que l’on vient d’allumer et vis un léger nuage de fumée me dépasser. Un de mes semblables, tapi contre la clé de la voute romane, se laissa choir dans mon dos, un pied sur chaque quai. La silhouette de sa haute stature masculine se découpait sur la lumière à l’extrémité du tunnel. Une douzaine de questions se bousculèrent dans mon esprit et se figèrent lorsque le bout incandescent de sa cigarette illuminèrent son regard d’acier :

Pourquoi t’es venu ici ?

Je ne suis pas venu ici. Je ne fais que passer.

L’homme tira sur sa cigarette. Moi aussi, dit-il. C’est pareil pour moi.

Il ramena son pied sur le quai d’en face, son long corps vouté contre la paroi.

Les rails tremblèrent une seconde au-dessus de nos têtes. Je m’élançai vers le portail et sautai d’un rive à l’autre. Il fit de même et se rua vers moi. Le train passa en trombe. Une seconde plus tard, il était parti. Le Portail et le clandestin à la cigarette aussi. J’étais définitivement coincé dans ce monde. Une plainte indicible s’éleva du cimetière, le hurlement sourd d’un Veilleur de Seuils à l’affût.

 

 

 












 



   Texte de Richard (L'animateur)


La nuit tombant, j’avais fui. Je ne savais quoi. L’angoisse rivée aux tripes. Empli d’une prémonition inexplicable, et me sentant suivi, poursuivi. Et pourtant, autour de moi, le désert. Pas un passant, pas un piéton. Aucune silhouette, même lointaine. Juste cette impression tenace d’un danger indéfini, d’une menace inexorable.

Je remontai la rue de l’Autan, arrivai face à la médiathèque. Façade froide, verre et métal. Pas de lumière à l’intérieur, mais à l’extérieur des spots projetant sur moi leurs jets coniques de lumière zénithale, qui déformait. Tel une mouche, je butais contre la porte vitrée, fermée à clef, où se refléta instantanément un faciès aux traits imprécis, nappé d’un vert terreux, olivâtre, décomposée. Une face de zombie. Il me fallut deux secondes pour l’admettre : c’était mon visage ! Je me vis soudain vieux. Très vieux. Mon cœur s’oppressa. Moi, un vieillard ! Impossible ! L’idée même de vieillir me révoltait. Je refusais de vieillir. Je ne voulais pas mourir. Je fermais les yeux et fouillant dans ma mémoire je convoquais le souvenir de moi-même quand j’étais jeune. Mais cela ne fut d’aucun effet ; pas une trace de jouvence ne vint couler dans mes veines et radoucir mes traits.Quand je rouvris les yeux, j’eus de nouveau dans mon champ de vision cette trogne de mort vivant qui m’observait avec inquiétude.

Révolté contre ma propre impuissance, je fis volte-face et partis à marche forcée, à demi titubant, à travers les plantations du jardin jusqu’à la lisière d’un fourré plus dense, hérissé d’une végétation sauvage. Peut-être espérai-je ainsi échapper à moi-même ? J’étais ridicule, pathétique. Très vite, je vins buter contre une clôture, dont le grillage déformé était surmonté d’un fil de fer barbelé, enjolivé par endroits de quelques vieilles toiles d’araignées filandreuses. Impossible de poursuivre. Je me sentis soudain piégé. Comme un rat ! Où aller ? A droite, vers l’aire goudronnée du parking ? Je risquais d’y rencontrer quelqu’un et ne voulais pas que l’on me vît avec cette mine de déterré-là !

 J’optais pour la gauche, où je devinais un passage, formé par les piétinements répétés, et qui s’enfonçait dans le sombre, entre bambous, fusains, pyracanthes, ronces, orties et sorbiers.

Ce passage, sous la voûte végétale formait un tunnel ; il fallait baisser l’échine pour s’y faufiler. Au bout de quelques mètres, je découvris, à main droite, une brèche dans la clôture effondrée. Je m’y glissais et pénétrais dans un sous-bois au sol jonché de lierre, de mousse et de feuilles sèchées, moisies. Et ce fut à ce moment-là que, me griffant à une ronce agressive, je perçus un craquement proche, comme provoqué par un déplacement.

« Il y a quelqu’un », me dis-je, constatant la présence d’une cabane à demi effondrée, qui m’était jusqu’à présent restée invisible, dissimulée par un rideau de branches et de feuillages enchevêtrées. Je me posais sur des brindilles et je tendis l’oreille. Il me sembla entendre un souffle. Mais c’était le mien ! Un ramier décolla dans le haut de la frondaison, émettant un bruit caractéristique de battements d’ailes. Il fuyait.

Il y avait donc quelqu’un.

Je commençais à rebrousser chemin, mais mon pied se prit dans une racine et je chutais lourdement. Je me retrouvais sur les genoux, à quatre pattes et c’est quand je tentais de me relever que je vis une silhouette émergeant de l’ombre, à hauteur du cabanon de planches vermoulues.

Il me sembla que c’était un homme. Il était tout de noir vêtu, et très maigre, vêtu d’un imperméable  nouée à la taille, et portant bizarrement un borsalino noir, des lunettes de soleil, du genre ray ban, qui lui donnait un air louche de rocker des années 60 et de junky tout à la fois. Il avança de trois pas lourds dans ma direction et je me sentis comme paralysé, accablé, incapable de me relever, tel un insecte épinglé sur la planche du naturaliste.

Il se campa alors, jambes écartées,  à deux mètres de moi qui n’osait pas bouger et tira de sa poche un paquet de cigarettes. Il en prit une, qu’il porta à ses lèvres et l’alluma avec des gestes lents, à l’aide d’un briquet dont la flamme vacillante irradia son visage à la peau jaunie, parcheminée, à la mâchoire carrée.

Deux pas encore, et il fut au-dessus de moi. D’une voix d’outre tombe, caverneuse, il lâcha :

Pourquoi t’es venu ici ?

Je ne suis pas venu ici. Je ne fais que passer.

L’homme tira sur sa cigarette. Moi aussi, dit-il. C’est pareil pour moi.

Vous ne faites que passer ? Vous êtes donc un étranger ?

Etranger, si tu veux. Disons plutôt, missionnaire. En mission commandée.

Je ne comprends pas, mission commandée de quoi ?

Ne sois pas impatient, tu comprendras, et disant cela, sur un ton à la fois amusé et menaçant, il me tendit son paquet de cigarettes dont l’une dépassait.

Tu fumes ? me demanda-t-il.

Je lui fis non de la tête et soufflai : Merci.

Il me toisa et affichant une sourire entendu : Tu as tort. 

J’avais tort ? Et pourquoi, j’étais bien libre !

 Oui,  tu es libre. Tous les hommes sont libres, me rétorqua-t-il comme s’il avait lu dans mes pensées. Tu es libre comme les autres hommes. Mais tu aurais dû accepter, car cette cigarette est la dernière. Celle du condamné. Elle est comprise dans le contrat. Et maintenant, ajouta-t-il en durcissant le ton, voici de quoi satisfaire ta curiosité.

Je vis alors dans sa main l’arme qu’il sortit de la poche de son imperméable et dont il dirigeait le canon sur moi.

Je basculais, tentais un roulé boulé avant de fuir, comme fui le gibier traqué.

Le coup de feu partit et s’étira à l’infini.

Il y eut un éclair aussi long que le big bang.

J’étais mort.

J’avais devant moi l’éternité.

 

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8 juin 2009 1 08 /06 /juin /2009 12:03

Thème

 

Une légende sous le signe de la prolifération du mot

 

Il s’agit d’un travail sur l’onomastique (étymologie réelle ou fictive) couplé à un exercice de mise en forme par la contrainte syllabique.

Dispositif 

 

Sur la carte de Labège que je vous fournirai, choisir un nom de lieu-dit ou de quartier. Etablir à partir de ce nom, une notice de dictionnaire comprenant :
une étymologie (origine réelle ou inventée)
une signification du mot : sens propre, sens figuré (chaque sens sera illustré d’un ou deux exemples)…
 des expressions et locutions…
des dérivés

Cet exercice préliminaire devra être réalisé en ayant à l’esprit l’idée d’écrire ensuite une courte légende liée à ce nom.

 

Exemple :

 

Canteloup : du latin Cantare « chanter » et loup (de lupus, puis leu en vieux français)

 

1) Endroit où chante le loup. « Au crépuscule, les manants n’osaient s’aventurer à Canteloup, par peur des mauvaises rencontres » (Jean Pastel Dumoulin)

 

Deuxième phase de l'exercice 
 

Etablir, par le procédé de la prolifération, une série de mots où l’on retrouve une ou plusieurs syllabes du mot choisi. Dans le cas où la prolifération est insuffisante, procéder à la germination, à la ramification ou à la taille du mot par ajout d’une voyelle ou d’une consonne, par l’inversion ou le mélange des lettres, le remplacement d’une lettre par une autre…

 

Quand 
Cancan

Kant

Te

Thé
Loup

Lou

Poule
Loupe
etc...

Ecrire ensuite une courte légende, un quand dira-t-on, un racontard, un bobard, une rumeur… en glissant dans le texte les mots trouvés précédemment. On utilisera, comme  inducteur , une expression du genre :
On dit que... Il paraît que... Le bruit court... 
Jadis... Il était une fois...

 
Il est intéressant de prendre connaissance de la rubrique Légende urbaine dans Wikipédia à l'adresse : http://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9gende_urbaine

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25 mai 2009 1 25 /05 /mai /2009 14:53

Thème


Passage / rencontre
(l'exercice nécessite un travail préliminaire de relevés sur le terrain)
 


Modalités pratiques :   

Se munir d'un carnet ou cahier et d'un appareil photographique (facultatif, mais mieux). On partira en vadrouille dans Labège pour y trouver un lieu qui servira de support à l'exercice. Il serait bon de partir chacun de son côté... Si vous le pouviez, il serait profitable de procéder à un repérage préliminaire avant l'atelier (ou bien d'y réfléchir pour ceux qui connaissent bien Labège. Se concentrer sur le village, le parc (bosquets...), la gare, le vieux village du côté de la rue de l'Ancien château.

Qu'est-ce qu'un passage (dans le cadre de cet exercice)
Un lieu qui relie (ou sépare) deux espaces, en établissant une continuité ou bien au contraire, en marquant une rupture. (Il peut donc s'agir : d'un pont, d'une allée, d'un sentier, d'un trouée dans un buisson, d'un gué (pour un ruisseau), d'une galerie (marchande).  passage à niveau (voie de chemin de fer), passage cloutés (pour piétons), route, rue, ruelle, impasse (passage sans issue), venelle, tunnel..
Ces lieux sont innombrables, mais toujours caractérisés par le fait que l'on peut y passer (il y a donc une idée de mouvement dans ce passage). 

Ce passage est, comme tout passage, un lieu propice aux rencontres...
Il faudra tenir compte de ce fait en procédant aux relevés. C'est à dire qu'il faudra noter des détails, des faits (même anodins) qui pourraient jour un rôle dans cette rencontre. Ces détails, ces faits sont de nature à générer une atmophère (par ex: il pleut, il fait orage, coucher de soleil, un chien ne cesse d'aboyer de façon lancinante, le passage est sombre, étroit, plein de recoins, on peut se cacher...)

Deuxième phase de l'exercice : retour à la médiathèque.

En se servant des notes prises dans le lieu repéré, on imagine (ou l'on relate) une rencontre qui s'y déroule.

Cette courte fiction sera écrite en appliquant  la contrainte dite du «  passage obligé ». C'est-à-dire qu’il faudra nécessairement que soit intégré dans le texte produit un passage de texte choisi.
En l’occurrence, il s’agit d’un texte tiré du Grand passage de Cormac McCarthy :

Pourquoi t’es venu ici ?
Je ne suis pas venu ici. Je ne fais que passer.
L’homme tira sur sa cigarette. Moi aussi, dit-il. C’est pareil pour moi.



Cette rencontre peut être fortuite ou bien prévue (rendez-vous). Elle peut avoir des motifs divers. Elle peut bien ou mal se passer. En l'occurence, c'est une rencontre avec un homme inconnu... L'autre personnage est le narrateur, donc vous. Le texte sera donc écrit à la première personne, au présent. 

Pour ceux qui n'ont pas lu Cormac McCarthy, voici deux extraits de presse. J'attire votre attention sur les parties surlignées en orange. Elles donnent de précieuses indications sur ce que l'on recherchera dans cet atelier, ce que je résumerai par cette expression d'Henri Michaux : l'espace du dedans.

Lire

Toute la puissance de Cormac McCarthy est dans des phrases «qui donnent la vie et la mort», dit Saul Bellow. Dans l'art et la manière dont il construit son récit, en alternant la description ample, débordante et le dialogue laconique, en coupant les scènes d'action ou de genre par de longs silences et des plans fixes, en épurant sans cesse son histoire pour que le blanc donne tout son sens au noir. Le blanc de l'espace vide où, des pages durant, l'herbe et la roche succèdent à l'herbe et à la roche sans âme qui vive à l'horizon, le blanc des mots entre les deux frères dont le laconisme n'a d'égal que la tristesse («T'as une idée maintenant? dit Boy/ Non. Aucune./Y a sans doute chez eux un vieux capable de te pister un lézard dans un terremoto./Sans doute./Qu'est-ce qu'on va faire de leurs chevaux?/ J'en sais rien./Boyd cracha»).

Chronicart

 

Lorsque, pour la première fois, Billy Parham, le héros du Grand passage, franchit la "ligne de la frontière internationale" pour entrer au Mexique, c'est l'absence de différence, "sur ce terrain", entre ce pays et les Etats-Unis qui est mise en avant. Cette impression est immédiatement tempérée, voire corrigée par McCarthy. Le Mexique s'avérant, dans le même temps, "tout autre pourtant, totalement étranger". Seul un des obélisques de béton, servant de bornes frontières, est là pour matérialiser cette ligne fictive née de l'imagination des hommes. Plus que symbolique, cet obélisque de béton est prémonitoire. S'apparentant à "un monument à la mémoire d'une expédition perdue", il annonce ce que seront, en définitive, les trois incursions de Billy Parham en territoire mexicain.
C'est sans doute l'ambiguïté originelle de la "frontière" qui intéresse McCarthy. Une fiction à laquelle les hommes ont donné un semblant de réalité. C'est également le symbole qu'elle représente. L'exploration de McCarthy ne s'arrête pas aux seuls confins géographiques. Elle s'attache également à ceux plus flous encore, parce qu'intérieurs et intimes, des êtres. L'adolescence des héros de McCarthy, John Grady Cole dans De si jolis chevaux* et Billy Parham ici, tous les deux âgés de seize ans au début de leur histoire, se révèle à cet égard un terrain des plus propices. C'est le temps de l'apprentissage des choses de la vie. C'est le temps des premières désillusions et des premières déconvenues. C'est le temps du "passage des ans" vers l'âge adulte. Etat transitoire par nature. Période frontière durant laquelle l'homme se construit des points de repère et définit ses rapports avec le monde. A trois reprises, Billy Parham franchit la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Ces trois expéditions, chacune vouée à l'échec, sont autant d'occasions pour découvrir les limites ténues entre le bien et le mal, entre la réalité et le rêve. Elles sont, par excellence, des voyages initiatiques. D'où il ressort en fin de course que "la seule chose [que Billy] savait de toutes les choses prétendument connues, c'était qu'aucune n'offrait la moindre certitude".

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18 mai 2009 1 18 /05 /mai /2009 16:05

Premier atelier (14 mai)

Je bourlingue à travers le lait tendre des lumières. Chemin de Canteloup, trou noir et perte d’équilibre, chute et bris divers, la terre, meuble et ocre, presque le goût du sang, s’invite à mes basques. Une halte. Les fibres du vieux banc de bois, rugueuses sous la fine peau de mes doigts, me réveillent. Du haut de la colline, au coucher de soleil, un peu de verdure comme un poumon que la gangrène urbaine gagne inexorablement et que j’ai du mal à quitter.

Je suis dans mon rêve, où mes pas me mènent, il existe ici, près des écluses un bas quartier de bohémiens où la belle jeunesse s’use à démêler le tien du mien. Mes pas me portent place Saint-Barthélémy, des effluves irradiants me tirent par le bout du nez. Puis m’éveillent les bruits de marelle de l’école maternelle où les arbres ont dépassé de beaucoup la tailles des enfants qui les ont plantés, il y a fort longtemps. Mais aujourd’hui, c’est maintenant !

 


 

Deuxième atelier (4 juin)

Thème : le passage (avec, pour contrainte, un passage obligé - dialogue tiré du Grand Passage de Cormac McCarthy :

Pourquoi t’es venu ici ?

Je ne suis pas venu ici. Je ne fais que passer.

L’homme tira sur sa cigarette. Moi aussi, dit-il. C’est pareil pour moi. )


Texte et photos de Corinne :

Voilà, ma journée est finie. Je file à La Cadène, retrouver Alice, ma chérie qui y loue une chambre d’étudiant. Il y a un étage pour les filles et un pour les hommes, je dois donc m’y faufiler en toute discrétion. Ah ! L’amour, ça me donne des ailes. Je tourne  au carrefour qui relie la voie rapide, la route de Baziège et le centre du village de Labège. Je quitte le trafic routier et son environnement sonore  et  me dirige par l’Occitane vers le lycée  où la verdure est déjà annonciatrice de bien-être. Je laisse ma voiture le long du self, afin de ne pas me faire remarquer. Je suis léger comme une plume. Je réfrène mon envie de chanter. Mince, un gars est là dans le soir tombant.  Il est trop tard pour faire demi-tour.  Il m’interpelle.

-         Pourquoi t’es venu ici ?

-         Je ne suis pas venu ici. Je ne fais que passer.

 L’homme tira sur sa cigarette. – Moi aussi, dit-il, c’est pareil pour moi.

-         C’est faux tu loges ici. Moi, je ne fais que passer !

-         Passer où ? La route s’arrête ici ! On peut y venir puis en partir, mais ce n’est pas un passage.

-         Mais tout est passage, la vie est un passage. Cette entrée est un passage.

-         Tu fais  psycho , ou quoi ?

-         Dis donc, tu commences à me plaire…

               Un silence assourdissant se jeta entre nous. Je fis quelques pas sans trop m’éloigner du bâtiment car la nuit était tombée et la présence de cet homme devenait  pesante. D e temps en temps, furtivement je l’observais. Très carré, la trentaine, il fumait rageusement en tenant  sa cigarette le poing fermé. Il faisait frais et l’homme ne semblait pas vouloir bouger.  Le règlement est strict, si on me voit entrer  dans la chambre d’Alice, elle peut  être renvoyée.

            Deux jeunes s’approchèrent, regardèrent  l’homme avec insistance puis passèrent leur chemin. Une voiture lentement  se gara face à l’homme, fit des appels de phares mais mon voisin resta immobile adossé au mur. Visiblement, j’étais de trop. N’aimant pas les problèmes, je m’éloignais.

-         Salut, lançais-je.

-         Salut, bougonna t-il en éjectant son mégot à terre.

               L’idée me vient d’un autre passage à l’opposé. J’entreprends donc de faire le tour du bâtiment en forme de U en le contournant. Je marche dans la nuit, un train de marchandises fracassa le calme.  Je n’y vois rien et me guide entre le mur en crépi et la butte herbeuse qui longue la voie ferrée. Demain c’est la fête des mères, j’irai voir maman. Les herbes sont hautes et humides. J’imagine Alice se brossant les cheveux comme chaque soir puis se les tressant  telle une indienne. Je vais évidement  louper ce moment magique, si plein de sensualité et de douceur.  J’accélère la cadence, j’aimerai pouvoir chanter, mais il me faut rester discret.  Voilà le deuxième angle dépassé et j’aperçois la forme sombre de la serre.  Le prochain angle est légèrement éclairé par la cour. Je pense alors que j’ai oublié mon sac dans la voiture. Tant pis. Ce soir Rolland Garros est sur la 2 et Alice n’a pas la télé.  Je m’étonne moi-même de choisir de ne pas voir les matchs et préférer vivre ce gymkhana pour les beaux yeux d’Alice. Encore dans la pénombre, je sors mon portable et joins Alice.  C’est le répondeur…

-         Allo, ma déesse, j’arrive. Dernière longueur, je touche au but. Je longue la façade, tous les volets sont fermés. Personne ne  se trouve près de la porte mais des voix et des cris me parviennent.    

                    Je cours mais juste devant la porte, mon téléphone sonne et sa mélodie stridente me semble une trahison dans ma stratégie de passer inaperçu.  Une bande d’excités sortent de je ne sais où et en moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, l’homme à la cigarette m’alpage violement  en vociférant. Un autre, au nez cassé attrape mon portable et le fracasse à terre. Je reçois des coups.  Je ne perçois plus les visages mais le bas de jeans et de  volumineuses Caterpillar qui s’enfoncent dans mes côtes. Quelques volets s’ouvrent et j’en profite pour m’échapper.  Je repars en direction de la serre, la dépasse, grimpe le monticule herbeux et commence à courir le long de la voie.  Je pense que la bande a abandonnée lorsque j’aperçois l’un deux  à une dizaine de mètres. Puis un second. Et puis les deux autres. Je voudrai m’expliquer mais mon instinct me dit de filer. Je redescends en direction du village à travers champs, passe le rond-point puis emprunte en courant le chemin du collège Périgord. Je fais une halte, haletant près du Tricou mais la bande est toujours à mes trousses et me pousse à déguerpir. Si je trouve une maison ouverte, j’y  demanderai asile. La rue du Bardou, me fit penser à mon grand-père qui aimait me donner l’origine des noms.  Je traverse la place et pénètre dans les jardins de la maison Salvan qui est jonché de fenêtres. Je n’ai pas le temps d’y réfléchir. J’aurai préféré des portes, des portes ouvertes sur une aide.  Je me faufile dans l’impasse du Moulin à Pastel, si vivante avec au plein milieu un escabeau et plus loin un jouet d’enfant. Mais où est ce petit et où est ce bricoleur ?  Ma respiration est si forte que je redoute qu’elle ne me fasse repérer. Je passe une manche sur mes yeux pour éponger la sueur qui me trouble la vue. Enfin, j’essaye d’écouter les indices sonores de mes poursuivants. Je n’entends que mon cœur qui bat et au loin une famille qui joyeusement dessert la table. J’envie leur insouciance. Au 13 de la rue de l’Ancien Château, je trébuche devant la maison aux volets bleus, fais une pause au 17 au pied d’un portique aux deux boules blanches puis au 19 à l’angle de la rue d’Occitanie, mes pieds s’enfoncent dans l’asphalte fraichement étalée.  Je file à travers les logements HLM, m’engouffre dans le souterrain et me traine jusqu’au centre commercial, désert à cette heure ci. Miracle un bus s’arrête, et je m’y engouffre.  Le chauffeur doit me demander si tout va bien ; et lorsqu’il tourne route de Labège,  j’aperçois au loin l’homme et sa bande. Que me voulaient-ils ? Que faisaient-ils ?

                    Je me dirige vers Toulouse.

Et mon esprit se vide. Tant d’idées se sont imposées en plein action suivant le tempo de mon activité physique.  Avachi sur la banquette, me laissant balloter, mon rythme cardiaque en pleine accalmie, une seule pensée me vint ; en fait, c’est ce soir que je souhaiterai la fête des mères.



  Troisième atelier (11uin)

Thème :  Une légende à l'aune de la prolifération du mot

   

Labège a été ainsi nommée au Moyen Âge par contraste avec Toulouse, sa voisine, déjà ville de briques roses. La Beige semblait très beige grâce à ses sols argileux et ses maisons de pierres et de charpi mi paille, mi argile, disséminées au coeur des champs blonds de blé.

Au XVI ème siècle, les proverbes:
"les grands boeufs ne font pas les grands labours"
et
"Il n'y a point de plus sage abbé que celui qui a été moine"
sont nés à La Beige.
Alors qu'à la même époque Louise Labé affirmait:
"Quelque rigueur qui loge en notre coeur. Amour de La Beige s'en peut un jour rendre vainqueur."
Puis le 25 juillet 1794, les dernières paroles d'André Chénier au pied de l'échaffaud, place St Barthélémy (un comble) ne furent -elles pas:
" Pourtant j'avais quelque chose là."
Au XXème siècle Sylvie Germain lançait:
"Il n'y avait que des là-bas, insituables autant qu'infranchissables et des demains à Labège béants de peur."

Il faut savoir que Labège vient de
Labeige, La beige. La ville beige.
Beige, bis, sable
Beigeasse
Beigeâtre
Beigne- giffle, beignet
bejaune- blanc-bec, niais
Bêler
Bégueter
Label-marque, étiquette
Labeur- besogne, activité
Labour- culture
Labourable...



Texte du cinquième atelier :
 dialogue en tranches

  • - A Labège ? Pas possible !
  • - Oui, je te dis que c’est un arrêté préfectoral qui interdit toutes sorties des Labègeois : l’évadé de Muret rôde dans les proches alentours.
  • - Attends, je vais fermer mes fenêtres…
  • -… Moi aussi.
  • - Allo, tu es là ?
  • - Oui, j’ai même fermé les volets du rez-de-chaussée.
  • - Tu as lu ça où ?
  • - Ça vient de passer au journal  télévisé et les voitures de police circulent avec des mégaphones pour nous intimer l’ordre de ne pas sortir. J’espère qu’à 17h, ils l’auront trouvé.
  • - Moi aussi, sinon, on fera comment pour aller chercher les gosses ?
  • - Il parait qu’il est passé par la voie ferrée.
  • - Comment ce fait-il qu’un homme puisse arriver à perturber ainsi toute une région ?
  • - Est-il dangereux ?
  • - S’ils déploient tant de force de police, ça ne doit pas être un tendre.
  • - Violeur, assassin, braqueur…
  • - Terroriste ?
  • - Qui sait ?
  • - Déjà avec l’histoire du cerf-volant, Labège avait déjà fait les gros titres…
  • - Le fils de la maîtresse de CP.
  • - Laisser son gosse jouer au cerf-volant près des lignes à haute tension, c’est vraiment irresponsable.
  • - T’imagine la tête des gens  quand ils ont vu ce cerf-volant en feu s’abattre sur leur péniche…
  • - … et commencer à l’enflammer.
  • - Quand on ne surveille pas ses enfants…
  • - Puisque je suis coincée là, je vais en profiter pour faire de la couture.
  • - Du reprisage ?
  • - Mais, tu ne sais pas que mon fils ainé se marie le 20 juillet prochain ?
  • - Celui de ton 1er mariage ?
  • - Oui,  enfin, Je n’y croyais plus après toutes ces années,  militaire célibataire. …
  • - Et  la lettre du corbeau, tu en as des nouvelles ?
  • - Tu penses, c’est  Colette l’employée de mairie qui me tient au courant. Dans sa dernière lettre, il menace de braquer l’agence postale.
  • - Dans celle d’avant il voulait mettre le feu à la maison Salvan pour réaliser une « sublime » œuvre d’art !
  • - Des détraqués de partout, je te dis !
  • - Il faut penser à autre chose. Autrement, quoi de neuf ?
  • - Je suis entrain de faire des bocaux de tomates.
  • - Cette année, des tomates, on en a eu à ne pas savoir qu’en faire.
  • - N’empêche qu’avec le clocher à terre à cause de la tempête, nos impôts locaux vont en prendre un coup !
  • - Que veux-tu c’est la vie.
  • - Mon Dieu, on frappe à la porte !
  • - N’ouvre pas !
  • - Je te laisse…
  • - Ne raccroche pas !
    - On force ma porte. Au secours !

    Sixième atelier  :
    microfiction au conditionnel

    A sa descente du train, elle ne pensait pas être accueillie de la sorte : son mari furieux, deux claques, des valises balancées, ses clefs arrachées, des insultes ; puis elle, sur le quai, hagarde, bousculée par des voyageurs indifférents au drame, qui chancelait. Elle aurait pu pleurer, se révolter, demander de l’aide, mais la lassitude la tétanisait.

     

    Elle chercherait un hôtel pour se poser mais elle s’engouffra dans le premier petit restaurant venu. Au comptoir, un homme aux lunettes carrées, adossé à un mur de faïence craquelée, jouait machinalement avec sa petite cuillère. Plus loin, des rangées de tables recouvertes de papier gaufré furent traversées par une serveuse du genre déluré, arborant un tee-shirt moulant branché décoré de l’image d’un boxeur avec un casque de cuir, ne cadrant pas avec le lieu. Une vielle femme seule devant son assiette vide improvisait un dialogue en tête à tête avec un homme imaginaire. Elle semblait régler ses comptes mais n’oubliait pas de un nouveau carafon de vin lorsque le sein était vide. L’endroit semblait figé dans le temps.

    Sa tête résonnait encore des paroles de son mari. Elle trouverait une place au fond de la salle. Sur la nappe en papier, elle se surprit à dessiner tel un pantin. Ses paupières étaient lourdes, prêtes au doux sommeil. Elle n’avait jamais connu pareil querelle, ni tant de haine pour la mettre dehors. Ses parents habitaient en rase campagne, elle ne pourrait pas s’y rendre avant le lever du jour. Elle devra se débrouiller pour la nuit. Son horizon lui paraissait bouché lorsqu’elle s’évanouit. Dans un semi coma, elle percevait des éclats de voix mais voyait la tête de son mari, les yeux révulsés et le visage contracté par la rage, s’approcher menaçant. Elle se réveillerait dans un cri. Le patron se pencherait sur elle et lui demanderait : Ça ne va pas ma petite dame ? Ici, il n’y a rien à craindre. Je vais bientôt fermer, mais je ne vous mets pas dehors. Je ne veux rien savoir, mais je vois bien que ça ne tourne pas rond. Prenez mon restau comme refuge, il y a un vieil édredon dans le débarras poussiéreux derrière la cuisine. Avec ma fille nous dormons à l’étage. Vous serez tranquille.

    Elle aurait pu remercier.

    Elle aurait dû s’excuser du dérangement provoqué.

     Allez, demain, ça ira mieux devant une bonne tasse de café !


    Texte du septième atelier :

    Le parti pris des choses

          Il me faut du recul alors j’avance… ramasser cette branche. Ce bois noueux, « vieille branche », bannie à tout jamais de branchitude, jusque là esthétique et génératrice, elle se retrouve à terre dédaignée de tous. Tas de bois, peuplier tu fus et tu ne seras ni flèche, ni fuseau, au mieux pâte à bois. L’homme scie la branche de sa propre essence. Ce peuplier était-il un tremble aux yeux et bourgeons de vertus diurétiques, antiseptiques, toniques et astringentes ; et au charbon de bois soulageant l’aérophagie et les fermentations intestinales. Le sais-tu, toi qui l’as abattu ?  Le peuplier fut souvent planté à la place du chêne comme arbre de la liberté, grande valeur de notre république.                                                          En Andalousie, on dit que c’est le plus ancien des arbres. Son nom latin est populus, il porte en lui les germes du peuple à défaut d’en porter les espérances, alors qu’il n’est ni populiste, ni populeux.                       A Rome, il tire son nom du lieu où il était planté : les lieux publics, là où vaquait la population.           En Grèce, les  Héliades, filles d’Hélios le soleil, furent transformées en peupliers et à Rome, il est l’arbre d’Hercule car il revint de son voyage des Enfers en portant sur la tête une couronne de peuplier et c’est de sa flèche que naquît le symbole du passage d’un monde à l’autre, d’où son rôle funéraire.                                                                                                                                                            Dans notre monde axé sur la gestion durable, il aurait pu vivre 400 ans. En décapitant ce géant, porteur de nids et de vie, on a touché au divin et au peuple, à la médecine et au vivant. On a porté atteinte à l’humain. Hier un tout, aujourd’hui, un tas de rien. Et demain ? jouet, cagette, charpente ou cahier mais ni âme de violon, ni didgeridoo et ni meuble précieux.
    « Où vont nicher, les habitants de mes branches ? J’ai aimé la dame qui, l’air peiné de ma disparition, s’est baissé pour ramasser une petite partie de mon être, moi qui n’est plus.                                         S’il vous plait, prévenez ma famille : les salicacées. Mes feuilles à pétioles et mes inflorescences mâles à l’apparence de chenilles ne flotteront plus dans le vent et  je ne protègerais plus l’humain du soleil et de la pluie. Nous qui étions avant les hommes, nous ne leurs survivrons pas. C’est ce qu’on appelle la civilisation ! » 

    Il me faut du recul alors j’avance… ramasser cette branche. Ce bois noueux, « vieille branche », bannie à tout jamais de branchitude, jusque là esthétique et génératrice, elle se retrouve à terre dédaignée de tous. Tas de bois, peuplier tu fus et tu ne seras ni flèche, ni fuseau, au mieux pâte à bois. L’homme scie la branche de sa propre essence. Ce peuplier était-il un tremble aux yeux et bourgeons de vertus diurétiques, antiseptiques, toniques et astringentes ; et au charbon de bois soulageant l’aérophagie et les fermentations intestinales. Le sais-tu, toi qui l’as abattu ?  Le peuplier fut souvent planté à la place du chêne comme arbre de la liberté, grande valeur de notre république.                                                          En Andalousie, on dit que c’est le plus ancien des arbres. Son nom latin est populus, il porte en lui les germes du peuple à défaut d’en porter les espérances, alors qu’il n’est ni populiste, ni populeux.                       A Rome, il tire son nom du lieu où il était planté : les lieux publics, là où vaquait la population.           En Grèce, les  Héliades, filles d’Hélios le soleil, furent transformées en peupliers et à Rome, il est l’arbre d’Hercule car il revint de son voyage des Enfers en portant sur la tête une couronne de peuplier et c’est de sa flèche que naquît le symbole du passage d’un monde à l’autre, d’où son rôle funéraire.                                                                                                                                                            Dans notre monde axé sur la gestion durable, il aurait pu vivre 400 ans. En décapitant ce géant, porteur de nids et de vie, on a touché au divin et au peuple, à la médecine et au vivant. On a porté atteinte à l’humain. Hier un tout, aujourd’hui, un tas de rien. Et demain ? jouet, cagette, charpente ou cahier mais ni âme de violon, ni didgeridoo et ni meuble précieux.
    « Où vont nicher, les habitants de mes branches ? J’ai aimé la dame qui, l’air peiné de ma disparition, s’est baissé pour ramasser une petite partie de mon être, moi qui n’est plus.                                         S’il vous plait, prévenez ma famille : les salicacées. Mes feuilles à pétioles et mes inflorescences mâles à l’apparence de chenilles ne flotteront plus dans le vent et  je ne protègerais plus l’humain du soleil et de la pluie. Nous qui étions avant les hommes, nous ne leurs survivrons pas. C’est ce qu’on appelle la civilisation ! » 

 

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18 mai 2009 1 18 /05 /mai /2009 16:02

Premier atelier

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18 mai 2009 1 18 /05 /mai /2009 16:00
Texte du premier atelier (14 mai)

 Encore un peu de jour au bord des toits et aux pointes des arbres. J'ai commencé ma marche par longer la voie ferrée, au bord de laquelle se trouve un amas d'herbe coupée. Puanteur. Besoin d'étendue d'eau, d'espace. Quelques minutes m'amènent au bord du plan d'eau où, plus tôt dans la journée, flic tap flop, la marche des badauds tapait la mesure avec les clapotis. Quelques voitures passent et se dirigent vers la place Saint-Barthélémy où le restaurant Ô Paisible ouvre ; verres à vin de taille XXL, le froid du verre et la chaleur du lieu... Ces sensations me sont familières. J'ai atteint la place. L'odeur du kérosène se mêle à la... Vraiment ?
Non... Mais.

 


Texte du deuxième atelier (4 juin)

Thème : le passage (avec, pour contrainte, un passage obligé - dialogue tiré du Grand Passage de Cormac McCarthy :

Pourquoi t’es venu ici ?

Je ne suis pas venu ici. Je ne fais que passer.

L’homme tira sur sa cigarette. Moi aussi, dit-il. C’est pareil pour moi. )


Texte et photos de Renaud :

renaud-1.jpgCertaines personnes traversent  leur vie sans ressentir aucun problème existentiel, pour d'autres c'est exactement le contraire : de la naissance à leur mort ils sont englués dans ce type de difficultés. Une autre catégorie existe : les personnes qui passent la première partie de leur vie dans le mal-être permanent et qui, un jour, à l'occasion d'un évènement particulier sentent que le poids considérable qui pèse sur eux va disparaître. Maintenant. Demain. Dans dix ans. Ils ne savent pas quand, mais ils savent que ce mal-être permanent va laisser place à un plaisir de vivre définitif. Ils auront envie de sourire sans raison et le feront sans arrière-pensée. J'appartiens à cette catégorie. L'événement fondateur de cette nouvelle vie fut une rencontre avec un homme, rencontre qui ne dura pas plus de temps que ne brûle une cigarette.

C’était un jour de juin. Je vivais à Labège depuis peu. J’étais parti à la découverte du village. Le soleil allait se coucher dans moins d'une demi-heure. L’atmosphère était moite. L'air lourd, sans un souffle d'air. Des trouées colorées de rose perçaient à travers les nuages. J’avais traversé la place Saint-Barthélemy et longé le restaurant qui se préparait à ouvrir, et contourné l’église en prenant l’impasse Coutouriou ; je me trouvai maintenant sur un petit parking que je ne connaissais pas. Un gamin sur son vélo rouge me frôla à toute vitesse, longea l’église et disparut au coin. Cette scène ne me procura aucune émotion particulière. Le parking était presque désert. Une seule voiture y était garée.

Le village n’avait a priori pas pu se développer au-delà de ce petit parking. Peut-être pour cause de risques d'inondation car c'était là, m'avait-on dit, qu'étaient située, autrefois, la zone marécageuse de la vallée de l'Hers. Seules quelques maisons avaient pu être construites récemment dans ce coin du vieux Labège. La lumière était diaphane, d'un blanc cotonneux uniforme, sans relief. Mon regard fut attiré sur ma gauche par une luminosité plus forte. Là, à quelques dizaines de mètres de l’église, non loin de la place du vieux village, subsistaient des champs et cette percée  campagnarde dans le paysage urbain m’attira. Je vis qu’un chemin de pierres me permettait de continuer ma promenade dans cette direction. A son entrée, deux vieux arbres, placés sur la droite du chemin, portaient chacun un panneau. L’un indiquait que la voie était sans issue, l’autre que la voie était privée. Je constatai que le haut des arbres était taillé très régulièrement. Les oiseaux chantaient extrêmement fort. Je regrettai de ne pas pouvoir en reconnaître un seul. Je m’engageai dans le chemin.

Sur la droite, une haie d'arbustes très dense empêchait toute incursion dans le jardin d'une maison, certainement la dernière de ce bout du village. Sur la gauche,  deux vieux fils électriques parallèles, tendus entre de courts piquets en bois défraîchi, délimitaient un petit champ non cultivé depuis longtemps, aux hautes herbes jaunies par les premières chaleurs. Mon tee-shirt collait à ma peau. L'humidité dans l'air augmenta subitement. Après seulement quelques mètres, le chemin faisait une courbe. Je m'y engageai. Quitter aussi brusquement l'environnement urbain pour cette petite parcelle de nature me déconcerta. Dès que la courbe fut dépassée, je vis la haute barrière métallique qui obstruait le passage et devant laquelle se tenait un homme.

Le vent était toujours inexistant. Immobile, le corps légèrement penché en avant, l'homme avait appuyé ses deux coudes sur la plus haute travée de la barrière située un peu en dessous de la hauteur de ses épaules. Un petit sac à dos de voyage pendait au poteau qui séparait les deux éléments de la haute barrière métallique. Je le voyais de dos. Il ne m'avait certainement pas entendu arriver. Je m'arrêtai et écrasai sans faire de bruit un moustique qui venait de me piquer à la jambe et décidai aussitôt de faire demi-tour et je vis les deux chevaux, le brun et le blanc, tourner au coin du champ, se dirigeant vers l'homme et s'arrêtant à environ cinquante mètre devant lui là où du foin avait été placé en leur intention. Je fis les quelques pas jusqu'à la barrière et me plaça à la droite de l'homme en observant le cheval blanc tourner en cercle autour de son compagnon qui lui, immobile, avait baissé sa fine encolure pour commencer à manger. J'appuyai moi aussi mes coudes sur la traverse du haut. Nous avions la même taille. Je ne me souviens plus comment il était. Je n'avais aucunement envie d'engager la conversation. Les échanges artificiels m'étaient insupportables à cette époque. Cet homme ne m'intéressait pas.

De si jolis chevaux, l'entendis-je murmurer...l'homme se tourna vers moi. Il sortit un paquet de cigarettes de sa poche et m'invita à en prendre une. Je déclinai son invitation sans rien dire et portai mon attention sur les chevaux. J'entendis une allumette craquer et un bruit d’aspiration d'air, celle de la première bouffée. Je sentis son regard sur moi. Je décidai de l'ignorer. Il me posa une question étrange.

Pourquoi t'es ici ?
Je ne suis pas d'ici. Je ne fais que passer.
L'homme tira sur sa cigarette. Moi aussi, dit-il. C'est pareil pour moi.
Pourquoi lui avoir dis que je n'étais pas d'ici ? Je tournai la tête et le regardai et fus frapper par le la transparence de son regard et le sourire qu'il me donna fit bouger quelque chose en moi.  J'essayai de me concentrer sur le paysage qui s'offrait à nous.

Le chemin qui j'avais emprunté continuait après la barrière sur une trentaine de mètres et tournait sur la gauche. Une rangée de hauts arbres enchevêtrés les uns dans les autres succédait à la barrière électrique et empêchait de voir où le chemin aboutissait. Certainement pas très loin. Sur ce même côté, a gauche, un filet d'eau, difficile à franchir car encaissé plus profond qu'un fossé ordinaire, sortait d'une buse en béton. Le champ où les chevaux mangeaient était situé un peu plus loin, sur la droite et donnait sur le chemin avant que celui-ci ne prenne son virage. La haie de droite qui délimitait le jardin était toujours infranchissable et s'arrêtait à l'entrée du champ des chevaux. En temps normal, j'aurai fait immédiatement demi-tour : mon sentiment d'oppression quasi permanent aurait été décuplé par cet endroit confiné ;  la trouée vers le ciel dans la haie du fond, ne m'aurait pas aidé à diminuer ce malaise. Le cheval blanc avait fini de tournoyer et avait placé sa tête sous le cheval brun. Le bruit d'une autoroute arrivait jusqu'ici, affaibli mais très reconnaissable.

Il m'interrogea  de nouveau.
Tu habites ici ?
Oui, à quelques pas de là.  Au bout du village que tu viens de traverser. Et toi ? Rajoutai-je après une courte hésitation.
Oh, moi ! Là-bas. Ses yeux s'élevèrent vers la trouée au dessus de la haie du fond.
C'est  loin chez toi ?
Oui très. Il tira une nouvelle fois sur sa cigarette. J'y retourne très bientôt.

Puis il me demanda si je connaissais ces chevaux. Je lui dis que non. Que je venais d'arriver ici. Que les chevaux m'étaient  inconnus. Il m'a dit qu'il les connaissait très bien. Qu'il avait appris à les connaître quand il était enfant. Quand il vivait dans d'immenses espaces. J'étais fasciné et je ne bougeai pas et j'aurai pu l'écouter pendant des heures et j'eus l'impression que beaucoup de temps était passé quand je repris mes esprits et sa cigarette n'était pourtant consommée qu'au deux tiers quand il s'arrêta de parler.

Son sac à dos était accroché à un des deux cadenas qui fermaient les deux grosses chaînes métalliques ceinturant les deux battants métalliques. Le sac était en cuir ocre, élimé. La pierre était accrochée au dessus du sac par un fin lacet noir, passé par le trou parfaitement rond de sa partie la plus fine. La pierre était oblongue, d'une couleur ocrée et pouvait être contenue dans un poing serré et je me demandai si je pouvais trouver un de nos galets avec cette  finesse dans la texture et dont la couleur pouvait se rapprocher de cet orangé, tenant plus du végétal que du minéral, et je savais bien que non. J'aimai beaucoup caresser du doigt les galets usagers que je récupérai de ci de là lors de mes promenades solitaires. J'imaginai le plaisir unique de caresser cette pierre-ci. Je ne pus m'empêcher de l'interroger.
Cette pierre me parait extraordinaire.
Elle l'est.
Tu l'as trouvé où ?
Dans les Blacks Mountains.
Tu as l'air d'y tenir. Elle représente quoi pour toi ?
Le souvenir du passage.
Quel passage ?
Le passage vers la clarté. La clarté du dedans.renaud-2.jpg

Je n'y comprenais rien. Cette conversation n'avait ni queue, ni tête. Je décidai d'y couper court et de prendre le chemin du retour ; je  lui demandai s'il avait besoin d'aide pour ce soir et il me dit que non et il me sourit. Il tira une dernière fois sur sa cigarette et la jeta dans le filet d'eau sur sa gauche. Je me retournai en le saluant et retourna au petit parking.  Les cris des crapauds se mélangeaient aux chants des oiseaux qui avaient baissé d'intensité. La chaleur était moins oppressante et je me demandais bien pourquoi. J'entendis des voix venant du jardin de derrière la haie. Au moment où je sortais du chemin empierré pour regagner le bitume, le gamin au vélo rouge me fit faire un bond de côté. Il avait élargi son circuit aux limites extérieures du parking et je ne l'avais pas vu arriver. Et il y a peu je l'aurais invectiver. Je me surpris à sourire.

En laissant retomber mon bras droit que j'avais levé sous le coup de cette surprise, ma main effleura quelque chose de dur placé dans ma poche que je savais vide. Je m'arrêtai. Je sortis la pierre trouée de ma poche et la mis dans ma paume et serra le poing. La sensation que je ressentais était exactement celle que j'avais imaginé en la découvrant sur le sac de l'homme. Je décidai de la lui ramener.

L'homme n'était plus devant le portail cadenassé. Je restai un moment devant la barrière me demandant si j'avais rêvé. Puis je me tournai sur la gauche et je vis le mégot jeté par l'homme flotté sur le filet d'eau qui longeait le chemin. Je me rappelai ses étranges dernières paroles. La clarté. La clarté du dedans.


  Texte du troisième atelier (11 juin)

Thème :   Une  légende sous le signe de la prolifération du mot

J’ai bâti mon texte avec l’idée générale que j’avais en arrivant jeudi dernier à l’atelier (et quelques éléments de l’histoire qui allait me servir de fil conducteur) et en tentant d’exploiter le mot choisi ce soir-là : Pomarède. Je n’ai, en réalité pas passé beaucoup de temps à travailler ce mot, déclinant un peu à l’envers le dispositif. En effet, avec l’idée générale en tête, j’ai construit, après la séance,  rapidement, une première version de mon texte en cherchant à caser quelques mots issus du procédé de prolifération sans que je me contraigne vraiment. Une fois la première version du texte ainsi écrite, j’ai appliqué de nouveau le procédé de prolifération au mot pomarède avec plus de sérieux. J’ai réalisé à ce moment là (en utilisant la germination et la ramification comme proposées dans les consignes) que la ramification pouvait générer vraiment beaucoup de mots. J’ai tenté d’en recaser encore quelques uns dans le texte, mais l’exercice devenait difficile et je ne voulais pas y consacrer trop de temps. Donc mon texte est plutôt pauvre en mots issus de la prolifération. Le dispositif tel que décrit dans les consignes, et que tu nous a expliqué, me semble donc tout à fait intéressant. J’aurai été incapable, personnellement, de le dérouler dans une seule soirée (surtout après la journée de boulôt !). Pour une prochaine fois (si tu recommences cet atelier avec un autre groupe) peut-être pourrais-tu rajouter des lieux-dits fictifs (à plusieurs syllabes) afin d’élargir le choix des mots (j’ai vraiment bloqué sur le choix du mot le soir de la séance ne trouvant pas celui qui me permettrait de suivre mon idée initiale) ; en fonction du public (si les personnes ont l’habitude d’écrire et ont beaucoup de vocabulaire, ça peut marcher) la durée d’une séance me parait bien courte. Sur ce dernier point, rien n’empêche de continuer après la séance ..c’est ce que j’ai fait avec grand plaisir…

En complément du texte fourni en pièce jointe (j’y ai mis les quelques mots issus de la prolifération en gras) voici le résultat de mon travail sur le mot choisi :



1ere phase :

Pomarède, n.m, vient des deux mots latins : pommarium signifiant verger et redolea signifiant exhaler une odeur. Ce nom commun masculin a deux significations :

 
1/qui exhale une odeur de fruit, par extension qui évoque un vrai paradis de délices

Expression : cet endroit charmant est un vrai poramède !

2/ lieu où le péché originel a été commis, par extension lieu de perdition

Expression : ce lieu sombre est un vrai poramède !

Pas d’inspiration pour aller beaucoup plus loin dans cette phase !

2èmephase :

voyelle ou consomme entre parenthèses = ajout dans le mot
son o sons è, é, ê, … son a autres
eau doré, ée rei(n)e mê(m)e âme mare do(n) ro(n)de
Oh por(t), e, c prés per(t)e a(n)e par (n)om (l)e, (n)e,
paumé, mor(s), t, prêt modér(é)e dam, e rame poè(t)e pe(u)
pomme roma(n) marée arpè(g)e pâmé pas Hé! départ
homme empor(t)é, ée (n)ez est drap pa(t)e mo(n) der
rodé, ée, a nom(m)er merde ê(t)re aède par(a)dée r(i)de dar(d)
rodait, ai, … ode per(t)e E(t) mar(i) (s)era perd(u),e der
pau(v)vre mode (l)es mè(n)e marot ? ra(t) pr(i)me mo(i)
mara(u)d, e rodé(o) mai(s) pau(v)re rade c ar pr(u)de e(n)
po(t) pom(m)ade père ar(r)ê(t)e Ah ! gare même (l)a,(ç)a
po(t)e au(t)re, s paire (v)ais madère aprè(s) r(u)ade (j)e
empo(t)ée (b)ord, s mère a(v)aient arôme épo(qu)e amo(u)r o(ù)
a(u)ra c omme pê(t)   parme dépar(t) mo(n)de p(i)re
or (b)eau des   mar c rame(n)é, ait, ais… (n)ord R(u)
dor(s) (t)rop dès   par(l)e, ée, er ré(v)er  


  Il paraît que la bègue fait le tapin sur les bords de la Garonne. 
- Qui ça 
- Ben, la bègue …celle qui est partie avec Arthur, le ménestrel, le mois dernier … 
- Ah !  Mathilde ! Mais elle ne bégaie pas, elle zozote juste un peu
- C’est pareil. Chipotes pas. Ce que tu peux être empotée. Je te dis qu’elle fait le tapin à Toulouse. Et elle qui jouait sa maraude en chantant tout le temps, la voilà bien maintenant. Voilà ça mène de suivre un moins que rien. Cet Arthur il n’est pas plus troubadour que moi je suis nonne. 
- Mais il n’est pas troubadour, il n’est que ménestrel. Et puis, il tourne drôlement bien les odes … 
- Ce que tu peux être naïve …tu te pâmes devant ce soi-disant poète …enfin parlons plutôt de la bègue … mais le pire est que son père est mort de chagrin après le départ de sa fille... 
- Mais, il n’est pas mort de chagrin puisqu’il est mort avant qu’elle ne parte avec Arthur ...c’est Mathilde qui fût très triste quand son père a été emportée par la crue du ru…un vrai drame …quel homme : la joie de vivre personnifiée ..le seul moment où je l’ai vu anéanti c’est quand la mère de Mathilde trépassa, alors que la petite était si jeune : quelle perte pour lui. Il avait repris goût à la vie grâce à sa fille, disait-il tout le temps. Cet homme avait une belle âme, un vrai saint même … 
- ce que tu peux être naïve, ma pauvre …c’était un vrai âne, oui. Arrête de te signer à tour de bras, je suis pas le Diable. Revenons à la bègue ; moi je te le dis, la bègue on la retrouvera dans la Garonne au fond de l’eau à Toulouse, c’est qu’elles finissent toutes. Et c’est son Arthur qui l’aura jetée là, quand elle ne sera plus bonne à rien, quand elle ne lui ramènera plus de sous, ça se passera comme ça, c’est moi qui te le dis.

Le temps passa. La rumeur prit de l’ampleur. Mathilde partie avec Arthur le ménestrel vivre une belle histoire d’amour (je vous la raconterai une autre fois : la façon dont elle devint une vraie dame est très instructif) devint la catin dénommée la bègue  tombée dans le ru le plus bas de Toulouse car elle avait désobéi à son père qui en était mort de chagrin, le pauvre ; il ne fallait pas parler de la bègue, cette fille perdue, devant les enfants mais personne ne pouvait s’en empêcher ;  toutes les occasions étaient bonnes pour amplifier la rumeur. Faut dire qu’à cette époque, il n’y avaient pas beaucoup d’histoires de ce calibre à se mettre sous la dent dans les environs. Le lieu dit « Pomarède » était née Mathilde et qu’elle ne quitta sans crier gare qu’après la mort subite de son père, devint synonyme de lieu de perdition, la pomme du péché avait été consommée.

Un jour Germaine, la mégère médisante, celle qui aimait lancer les rumeurs, et Gertrude, la naïve, se retrouvèrent au bord du ru le Tricout, comme souvent, à faire leur lessive. Faut dire que Germaine avait la chance d’avoir à la maison une source intarissable d’informations. Son homme, Léon, rodait davantage autour de la taverne paisiblus à soulever la poussière qu’il n’était dans ses près à remuer la terre. Il ramenait ainsi des histoires de toutes sortes que Gertrude se chargeait d’arranger à sa sauce et de divulguer.

- Hé ! Tu sais pas ce que m’a dit Léon ? Non bien sûr, tu sais jamais rien. Eh ben la bègue elle a gagné le premier prix du concours de chant de l’académie florale.  
Ah ! Mais je pensai qu’elle faisait le tapin sur les bords de la Garonne ? 
- Mais qui t’as dit ça ? Ma pauvre, ce que tu peux être naïve !

Le temps passa. Quelques familles supplémentaires s’installèrent dans les parages : on pouvait espérer s’y faire embaucher, car le bruit circulait que l’abbaye allait être ouverte de nouveau et allait même être rénovée. Personne ne sut que c’était Germaine qui avait lancé cette rumeur.

Le temps passa. La bègue, la honte des environs à dix lieux à la ronde il y a encore peu de temps, faisait rêver les jeunes filles : elle avait gagné le premier prix de chant de l’académie florale et son Arthur, était un si beau poète…; les yeux des hommes s’éclairaient d’une lueur étrange quand son nom était prononcé : une catin qui chante comme une déesse, pensez donc ... Ainsi les mots qu’on employa pour parler de la bègue changèrent. On ne parla plus de tapin, de catin, de caniveau, de fille perdue, d’assassinat, mais de beauté, de poésie, d’argent, d’or et même de bonheur. Germaine contribua énormément à cette envolée lyrique, avant de disparaître, à un âge très avancée, dans les oubliettes de l’Histoire. Son mari Léon, lui, avait été emporté bien longtemps la mort de son épouse par le marc qu’il avait lui-même distillé.

Le temps passa. L’histoire de la bègue devint une légende, une source de fierté … Le lieu elle était née et avait grandi, la Pomarède, devint synonyme de vrai paradis. Un verger aux multiples fruits aussi délicieux les uns que les autres, aux arôme suaves.

Le temps passa. Une église fut construite, malgré l’opposition d’Erik le rouge, le grand rouquin venu du nord, qui possédait la taverne paisiblus depuis peu et qui envisageait de créer une auberge avec au moins deux chambres. Quelques familles supplémentaires s’installèrent dans le coin, en espérant que tout cela fut vrai, car on ne savait pourquoi, certaines informations qui circulaient dans le pays perdaient de leur crédibilité quand on découvrait d’ elles provenaient. Mais, par contre, à dix lieux à la ronde, personne ne doutait qu’une jeune fille d’une beauté incroyable, appelée la bègue on ne savait plus pourquoi, quitta le lieu-dit la Pomarède il y a bien longtemps avec un troubadour de passage, qui était en réalité le fils d’un noble, et gagna tous les premiers prix des concours de l’académie florale et finit par devenir comtesse dans un pays dont le nom ressemblait à  Burundi ou Burgundi.

Le temps passa. Il était grand temps que le lieu dit devienne un village. Il fallait lui trouver un nom. Un dimanche de grand beau temps, après le culte dominical, les habitants du lieu-dit se réunirent devant la taverne paisiblus (qui ne devint jamais une auberge au grand dam de certains). Il n’y eut aucun débat. Martial (le bout en train du coin) lança en tout début de séance : et si le village s’appelait La Bègue ? L’adhésion fut immédiate, enthousiaste et unanime. Tout le monde décida de fêter l’événement. Le nouveau propriétaire du paisiblus se souviendra de ce jour comme le plus beau de sa vie.

Le temps passa encore.

Et encore.

Et encore.

Le village La Bègue avait encore grandi, petitement mais sûrement. Les villageois étaient fiers d’être labéguois et la légende de la bègue, qui avait encore pris de l’ampleur, était plus tenace que jamais : la bègue, la prude jeune fille originaire de Pomarède, avait gagné tous les premier prix de l’académie florale de Toulouse plusieurs années de suite et était devenue reine. Arthur n’était pas loin de devenir la réincarnation du plus fameux aède de l’Antiquité.

Un jour, le p’tiot Léon, qui avait hérité de ce prénom comme tous les aînés de ses ascendants depuis la nuit des temps, rodait près du village. Il n’était pas plus haut que trois pommes mais était le plus dégourdi des p’tiots des environs. Soudain, il croisa le p’tiot Fernand, un étranger, qui habitait à plus de dix lieues de là :

- a a a …. lo lo lo  lo …. lors …ça ça ça ça …. va va va … 
- Qu’est-ce que tu dis ? Je te comprends pas . Tu te fous de moi ?

Les deux p’tiots se connaissaient. Je ne vais pas vous mettre ici leur échange car ce serait trop long. Le p’tiot Fernand venait de découvrir la réelle signification de La Bègue et en parlait à sa manière à son copain qui n’apprécia pas du tout et qui fut obliger de mettre une rouste à son pote. N’oublions pas que le p’tiot Léon était le plus futé des environs.

Puis le temps passa. Cet incident se produisit plusieurs fois avec d’autres gamins. Le p’tiot Léon se défendait toujours à sa manière. Il était fier d’être Labéguois et comptait bien se faire respecter.

Le temps passa. Ces enfantillages cessèrent. Léon ne fut plus p’tiot, devint donc grand et resta le plus futé des environs. Ce qu’il avait vécu, les autres enfants labéguois l’avaient vécu aussi. Ainsi, un jour les gens du village se réunirent sur la place devant la taverne paisiblus (au grand dam du curé) et débattirent de la nécessité de changer de nom pour le village. Ne trouvant aucune solution qui satisfasse tout le monde (ce fut une belle empoignade) tous les yeux se tournèrent vers Léon qui n’en demandait pas temps. Il demanda le silence. Il dit qu’il savait quel nouveau nom on pouvait donner au village et du plus futé des labéguois il devint le plus futé des labégeois. En effet il leur proposa simplement de supprimer la lettre « u » et de regrouper les deux mots …esbrouffant tout le monde, prouvant par là qu’il était vraiment futé (bien plus que son aïeul qui ramenait des racontars à sa femme Germaine et qui se tua en distillant son propre marc).

Et voila chère lectrice, cher lecteur, la véritable étymologie de Labège. Foin des autres hypothèses. Croyez davantage en cette histoire d’amour, de sexe, d’odes, de musique et de vin que toutes les autres étymologies réunies, bien trop savantes … et pas plus crédibles.

 


Texte du quatrième atelier (25 juin)

Thème : Itinéraire en exercices de style, sous le signe de la modification et de la disparition  



Vous sortez de chez vous, en ce début de journée automnal, vous allez au bout du chemin et vous attendez. Dans deux minutes, comme tous les matins, votre collègue Nina passera vous prendre dans sa Honda Civic. Les deux minutes passent. Puis deux autres. Vous cherchez à ne pas vous énerver. Soulagement. La voiture débouche du haut de la côte, et vient s’arrêter près de vous. Vous montez à l’arrière. Vous ne saviez pas que François habitait aussi dans le haut du village, comme vous. Vous refusez d’admettre que vous en êtes contrarié et vous espérez que le bonjour que vous avez lancé ne le montre pas. Vous regardez le soleil pâle percer le léger brouillard, Nina faisant repartir l’auto dans la pente, jusqu’au méplat où elle marque le stop. Vous observez la circulation, plutôt dense, de la RD 16 qu’il faut traverser. Nina et François poursuivent leur discussion sans vraiment faire attention à vous, vous semble-t-il. Encouragée par François, Nina finit par s’engager, traversant la RD 16 entre deux camions plutôt rapprochés l’un de l’autre. Vous regardez les personnes venues, certaines à pied, d’autres en voitures, au centre commercial de l’autan que la Honda Civic est en train de contourner. Nina et François continuent leur discussion. Vous croisez le regard de Nina dans le rétroviseur. Vous n’arrivez pas à y déceler une quelconque connivence avec vous. Vous n’aviez jamais remarqué qu’elle avait trois petits trous à son oreille gauche. Vous décidez, en toute discrétion, de pousser plus loin votre observation. Quand vous regardez de nouveau dehors, vous vous rendez compte que vous longez maintenant le parc,  émergeant, mystérieux, du brouillard, plus dense dans la vallée que dans les hauteurs. Au moment où vous voulez rompre le silence, vous entendez François lancer à Nina : « Marco n’est pas là ! ». Puis une fraction de seconde plus tard : « il devait nous attendre devant l’arrêt de bus, là » en montrant l’emplacement du doigt. Vous ne saviez pas que Marc devait aussi être du covoiturage. Vous participez à la brève discussion qui s’ensuit, Nina ayant arrêté, moteur allumé, la voiture sur la chaussée, à l’emplacement du bus, juste avant le rond point Occitanie. Vous êtes d’accord avec Nina et François d’aller, sans attendre, récupérer Marc au quartier Saint-Paul, où il habite, afin de ne pas perdre de temps. Vous vous rappelez que vous avez placée une réunion en début de matinée, mais vous n’avez pas d’inquiétude : ce bref détour ne vous mettra pas en retard. Deux minutes plus tard, vous voyez Marc agiter ses bras, ballotant sa sacoche au dessus de sa tête, un grand sourire aux lèvres, marchant à grands pas. Vous souriez niaisement à la blague que fait Marc en rentrant dans l’auto, alors que Nina éclate de rire et que François lance : « sacré Marco, il ne changera jamais ». Quand la Honda Civic revient au rond-point Occitanie, un bouchon commence à se former. Vous trouvez cela à peine croyable : en moins de cinq minutes ! Vous savez, à cet instant précis, qu’il vous faudra une heure et demie pour faire les 15 km qui vous séparent de votre lieu de travail. Cette situation, rare, que vous espériez vivre, sans vous l’avouer, en tête à tête avec Nina, se déroulera avec Marc et François, ces deux collègues avec lesquels vous n’avez pas d’affinités particulières. Vous avez peur de ne plus être adepte du covoiturage pendant un certain temps ! 



L’auto arriva à  la maison quand Bruno sortit du jardin. Nina conduisait. Un brouillard automnal voilait l’air du matin. Max fut surpris : dans la Honda Civic, il y avait François. Pourquoi ? Habitait-il lui aussi par ici ? « Bonjour » lança Bruno d’un ton qu’il voulut franc quand il s’assit dans l’auto. Nina, au volant, parlait à François qui souriait. « Salut » dit François sans conviction, poursuivant aussitôt sa discussion. Nina fit partir l’auto puis la stoppa plus loin. Il fallait franchir la RD 16. Un camion passa. Puis un bus. « Vas-y…faut pas mollir ! » dit François, toujours souriant. « Tais toi », lança Nina d’un ton dur. Bruno rigola tout bas. La Honda civic put franchir la RD 16, puis contourna la station Kaï, chacun ruminant sa frustration. Bruno s’agita sur son coussin, l’air narquois. Nina continua son action, pilotant l’auto, imaginant son attrait sur François, puis son attrait sur Bruno. L’auto poursuivit son parcours, stoppa, puis continua. Un liquidambar du parc surgit, sortant du brouillard, saisissant Bruno. La Honda roula jusqu’au stop du bus. Là où « on aurait du », dit François, « saisir Marco ». « Saisir Marco ! », railla Bruno tout bas, puis tout haut : « on fait quoi ? ». Nina coupa court à toute discussion : « allons à lui ! ». L’auto tourna autour du rond point Occitania, fonça à Saint-Paul, là où habitait Marc. Nul, dans l’auto, mouftait. Soudain Marc apparut, souriant, marchant à grands pas. Il blagua à l’instant où il monta dans l’auto. Nina rit. François sourit : « toujours aussi vif, Marco ! ». Bruno souriait aussi, mais d’un air, à son grand dam, plutôt niais. Nina suivit un minibus bruyant puis arriva au rond point : « zut ! Un bouchon ! Si soudain !». Bruno sursauta : « ça alors ! ». Son moral chuta. « J’aurais pas du partir ainsi au boulot. J’aurais du savoir » murmura-t-il ; puis il rajouta plus bas : « j’ai tout faux … », craignant un impact sur son travail du jour. Mais au fond, soupçonna-t-il, sa frustration portait plutôt sur Nina qui, à l’instant, d’un air lointain, mit la radio d’où sortit un air funky. « Plus jamais ça » ronchonna Bruno : il statua qu’il partirait au travail dans son char non polluant (sa twingo), sans autrui, maîtrisant ainsi son parcours, laissant son imagination à la maison.





Texte du cinquième atelier  dialogues en tranches (voir le dispositif)


- A Labège ? Pas possible !

- Si je t'assure.

- Non je ne te crois pas !

- Si, ça s'est passé samedi soir, lors de la soirée samba...

- Mais comment ça a pu se terminer aussi violemment ? 

- Je t'explique. La soirée avait commencé depuis...

- Punaise, j'en reviens pas. A Labège !

- Eh, oh, tu veux savoir ou non ? Si tu m'interromps tout le temps, on n'y arrivera pas.D'ailleurs, je n'en sais pas beaucoup plus que toi. Je sais simplement que la soirée, qui se déroulait à la salle des fêtes, s'est finie dans un bain de sang. Mais je préfère qu'on parle d'autre chose. On en causera quand on en saura plus. Mais, dis donc, on m'a dit que tu as failli te faire écraser par un quad ? 

- Oui, c'est vrai, je t'en parle pas. Je faisais du vélo, paisible, dans les chemins de Canteloup quand un quad a débouché à toute berzingue et a bien manqué de m'écraser tout net

- Quel salaud ! Ca se passait où ? 

- En fait non loin de chez moi, plus exactement tout près de chez ma voisine, Mme Ravel.

- Mme Ravel ? 

- Oui, madame Ravel, tu la connais ? C'est quoi ce sourire ? 

- Quoi, tu sais pas ? 

- Je sais pas quoi ? 

- Je crois que son mari la trompe... Mais chut.

- Autrement, quoi de neuf ? 


- Tiens, quelque chose de rigolo. Mon beau frère habite route de Baziège et m'a expliqué le pourquoi du carambolage de hier matin qui s'est passé devant chez lui. Tu devineras jamais ce qui l'a provoqué ? 

- Une poule.

- Quoi ? 

- Oui, une poule. Je le savais. J'habite route de Baziège moi aussi, tu as oublié ? 

- Ah.. C'est vrai !

- Tu sais que dimanche on baptise le neveu, avec toute la famille, même ceux de Belgique ont fait le voyage !

- Mon pauvre, je t'envie pas ! Je suis célibataire. J'ai pas d'enfant et je suis mieux comme ça. Le mois dernier, je suis allé rendre visite à mon frère.. Eh ben, j'ai trouvé mes neveux exécrables ! Toujours à regarder la télé !

- Que veux-tu, c'est la vie.


Sixième atelier

Elle aurait pu se demander comment elle avait trouvé ce petit restaurant, situé  en pleine campagne, au milieu de nulle part et comment elle aurait réussi à deviner qu'il était ouvert à une heure si tardive. Mais elle ne se pose pas de questions. Elle passe la porte, s'arrête ; la tête lui tourne.

- Je n'aurais pas du terminer la bouteille de gin ...c'est quoi ces formes carrées qui ne tiennent pas en place ? Se dit-elle en arrêtant son regard en un point précis de la salle déserte, où se tient un homme.

Si elle avait été moins saoule, elle réaliserait que ce ne sont que les carreaux en faïence craquelée, situés au dessus du bar derrière lequel se tient le patron, certainement, qui la regarde intensément. Le papier gaufré qui décore le mur du fond de la salle est dans le même sale état que la faïence : des déchirures zèbrent le motif d'un boxeur avec un casque de cuir qui se reproduit à l'infini.

- Vous aimez les motards, non, lance-t-elle au patron qui ne bouge pas d'un pouce. Elle s'avance à une table et s'y installe. Il n'y a aucun client dans la salle. Pas d'autres personnes que cet homme, immobile, derrière le bar, qui ne peut être que le patron.

- S'il y avait un client dans ce restaurant, il aurait été ici, à cette table où je viens de m’asseoir. C'est là, oui, que je serais en tête à tête avec un homme, peut-être mon homme. Mais peut-être pas. Ça veut dire quoi « mon homme » ? S'il était là, je lui réglerais ses comptes. Il aurait dessiné, là, sur la nappe. Il aurait fait ses dessins insupportables et j'aurais ri, comme il le déteste. Quel pantin. Ce sont tous des pantins. Et puis j'ai sommeil, sommeil. Si mon homme était là, je lui demanderais ce qu'il connaît de moi. Et moi est-ce que je le connais ? Si je devais extirper de sa personne quelque chose de connu, ce serait quoi ce quelque chose ?

Si elle avait été dans un autre restaurant, où si elle était venue plus tôt, ou si elle ne parlait pas si fort, ou si son rire n'était pas si strident, le patron ne se serait pas trouvé soudainement devant elle, si près. Si près qu'elle pouvait le toucher, le caresser.

Mais la querelle devait venir. Elle est là. Il gueule, il lui secoue les épaules, il la lève brutalement, le regard plein de haine et la pousse ainsi dehors dans ce milieu de nulle part, en la tenant fermement par l'avant-bras droit.

Elle aurait aimé  être expulsée ainsi plus souvent. Quel plaisir ! Quelle joie ! Si elle avait pu, elle aurait avancé de quelques pas, se serait enfoncée dans la nuit engagée depuis bien longtemps, elle se serait mise à chanter et aurait déambulé en rase campagne jusqu'au lever du jour. Être habitée par la haine de l'autre et voir le soleil s'élever au-dessus de l'horizon. Mais non, elle ne bougera pas, elle ne va pas se laisser faire, elle va crier sa haine elle aussi. Les éclats de voix heurteront la voie lactée. Puis elle change d'avis. Elle se dégage violemment de l'étreinte du patron, pourtant si puissant, elle fait quelques pas, revient vers lui, se rapproche si près qu'elle pourrait le caresser sans tendre son bras, le visage contracté par la rage, puis éclate de rire, puis s'effondre. Dans ses bras. Un refuge, malgré lui.

Endormie, recouverte d'un vieil édredon, elle se retrouve dans le débarras poussiéreux. Le patron, une tasse de café à la main, la regarde. Si elle pouvait voir son regard, elle pourrait avoir peur. Très peur.



Septième atelier

La balle de tennis

balle-tennis.jpg

Ton ancêtre s'appelait esteuf et tu étais faite de poils d'animaux et d'étouffe de laine. Tu fis encore plus mal à la paume de celles et ceux qui te tapaient allègrement à mains nues, quand on  décida de te durcir en te fabricant avec du cuir bourré de sable et de chaux. Tu faisais même tellement mal que tu fus interdite par le roi et qu'on changea une nouvelle fois ta composition. C'était mieux mais, quand-même, vraiment pas satisfaisant : tes ficelles, qui enserraient des draps pressés, se relâchaient bien trop facilement pour satisfaire ceux qui t'utilisaient pour leur plaisir. Puis ce fut l'heure du ficus elastica : le caoutchouc te constitua, le feutre te recouvrit, tu devins parfaitement ronde et tu fus remplie d'air. Tu devins jaune et fus mise en boîte sous pression. C'est depuis cette époque qu'on t'utilise avec une raquette : on te tape, on te « lifte », on te    « smatche », on te « slice », on t' « amortis », on te fais rebondir au plus près des lignes du terrain de tennis. Tu passes d'un côté à l'autre du filet, tu t'aplatis sur le sol, tu te déformes, tu perds tes poils, tu t'uses vite. Très vite. Trop vite. Au bout de quelque temps on te prend dans la paume, on te presse, on t'écrase, on te déforme, on constate, mécontent, que, comme toujours, tu ne sais pas garder la pression en toi et qu'on va être obligé de te jeter bien plus tôt qu'on ne le pensait (car tu es bien chère à l'achat). Et quand ça sera fait, une nouvelle vie commencera, peut-être. Il est possible, pourquoi pas, qu'un enfant te récupère et joue avec toi. Dans ce cas tu seras contente ou même heureuse s'il t'envoie en l'air, s'il jongle, s'il te caresse, te bichonne, te gardes avec lui pendant ses années d'insouciance. Tu pourrais aussi te transformer en objet utilitaire, si par exemple, on te place, après t'avoir déchirée, à un coin d'une table pour éviter de se faire mal en s'y heurtant ; tu attendras là patiemment, parfois très longtemps, qu'on t'y décroche pour te mettre définitivement au rebut. Celle, ou celui, qui fera ce geste, espérera vaguement que tu sois broyée, déchiquetée, recyclée (car tu es bien polluante)... plutôt que de traîner encore des années et des années (voire des dizaines d'années), quelque part, nulle part, avant de devenir poussière.
 


 

Huitième atelier

Autour du chapiteau broutent

poneys, zébus et quelques autres animaux étranges pour Labège,

alors que plus loin,

dans la nuit presque noire,

derrière la RD16 passagère,

un tracteur éclaire son labour.

Quelques voitures passent, sporadiquement, devant l’arrêt du bus où nous nous tenons.

Le bruit d’un train remplit soudainement l’espace.

Le froid n’a pas le temps de gagner mes pieds,

le bus 79 arrive,

vide.

Regarder, écouter, sentir et imaginer,

prendre son crayon et noter à la volée observations et impressions,

pour en faire, juste après le trajet, un écrit, en trois parties, se rapprochant d'un poème,

telles sont les consignes à appliquer, ce soir, pour ce nouvel atelier d’écriture.

Notre groupe monte dans le bus.

Ainsi qu’une jeune femme,

amusée.

Le bus démarre en trombe.

Espace vide dedans, espace noir dehors, mon reflet dans la vitre me renvoie ma perplexité.

Passage du bus sous le pont de la voie ferrée, là où le train fila à toute allure il y a peu,

accélération vers le rond-point Occitanie.

Stupeur et consternation,

pas d’arrêt à cette station, si rapidement atteinte,

je n’ai pas eu le temps de noter quoique ce soit.

II

Un moment d’inattention,

et voici le bus qui débouche sur la place Saint Barthélémy.

Des boules phosphorescentes sont posées sur des poteaux effilés :

ce sont les lampadaires qui éclairent les tables et les chaises

de la terrasse dépeuplée, normal à  cette saison, du restaurant « ô paisible ».

Les affiches du cirque offrent un nom que je n'arrive pas à saisir.

Elles sont espacées régulièrement sur le bord de la route,

et scandent ainsi l’allure du bus qui fonce, déjà, dans la rue Baratou.

Je griffonne hâtivement quelques mots sur mon carnet,

je lève la tête,

tiens, le garage au losange est ouvert.

Vite : voici le moment de noter une réflexion bien sentie sur les travailleurs du soir,

pendant d’aucuns s’amusent comme ils le peuvent,

trop tard, le bus est déjà presque à la hauteur de l’arrêt Riquet,

la lumière d’une habitation sort d’une fenêtre en demi-lune,

voilà l’occasion de lancer mon imaginaire,

d'inventer une tranche de vie derrière cette illumination,

trop tard, l’arrêt Riquet est derrière nous.

III

Le bus se lance vers notre terminus,

il fonce encore et toujours.

La main

se met en suspension,

au dessus de la feuille,

la fin du trajet approche, le rond-point Périgord est en ligne de mire.

Le bus accélère, je regarde attentivement devant nous :

aucune voiture,

je me retourne :

aucune voiture, non plus.

Mon reflet dans la vitre me renvoie, maintenant, du désarroi.

Je griffonne hâtivement quelques mots tels que vitesse, temps qui passe, lumière, noir, vide, …

puis ..stop .. le bus s’arrête …je sors hâtivement, comme les autres membres du groupe, à cette station

Périgord …que faire de ces griffonnages … aucune idée …advienne que pourra !
 


 

Texte du neuvième et dixième ateliers

 Quatuor de Labège : ALCIDE -TAÏMA - ADELYNA - JAUME  

 

ALCIDE

 

Soirée plutôt décevante, hier, avec Adelyna, Taïma et Jaume. Pourtant j’étais en pleine forme car je venais d’apprendre ma participation au premier vol d’essai du « Limasawa » qui permettra dans quelques mois d'assurer la liaison Toulouse Jakarta en dirigeable. Je remplace au pied levé le responsable en second de la chaîne de commande, système que je connais parfaitement puisque je travaille dessus depuis un an. On m’a prévenu bien tard, le départ étant programmé pour demain, mais ce n’est pas grave, l’important c’est d’y être ! Je n’ai pas résisté au plaisir d’annoncer cet événement dès que nous nous sommes retrouvés, comme convenu, sur la terrasse du restaurant « le bougainvillier » à Labège le haut, juste avant le coucher du soleil. J’étais d’autant plus pressé de l’annoncer à Adelyna que ce vol d'essai va m'amener à Yogyakarta …là où elle est née…Je leur ai expliqué ce que j’allais faire lors de ce vol et je crois que cela les a beaucoup intéressés. Ah ! Adelyna, Adelyna, elle est belle, elle a des yeux splendides, son corps est magnifique elle est intelligente : je l’aime ! Elle est la femme de ma vie !

Nous vivons ensemble depuis deux ans, depuis le départ improbable de sa grand-mère Nénék, mais nous n’avons encore jamais réellement parlé de notre avenir commun. Il est maintenant grand temps de le faire ! J’avais prévu de lui dire simplement et clairement hier soir ma volonté de construire ma vie avec elle,  devant Taïma et Jaume pour y ajouter une note légèrement solennelle, mais je n’ai pas pu car je ne l’ai pas senti disponible.

J'ai découvert avec surprise qu'elle avait son regard noir des mauvais jours quand la discussion avec Jaume sur l'anniversaire des 10 ans de la désactivation du mur patinait. Pourtant quand j'ai lancé ce sujet je pensais que notre conversation allait être aussi animée que d'habitude. Et bien pas du tout. J'ai eu beau forcer ma position, dire que c'était idiot de fêter ces 10 ans de la désactivation du mur, qu'il fallait regarder devant nous, que les vagues de réfugiés climatiques étaient maintenant toutes passées, que la planète ne se réchauffait plus depuis longtemps et que le capitalisme et le frontisme étaient définitivement morts avec la mise en place de la gouvernance globale, Jaume est resté bien terne, lui si prompt à me faire la leçon comme quand nous étions ses élèves et que nous buvions ses paroles. Mais hier soir, il n'avait pas la même attitude que d'habitude. Il n'a pas repris mes arguments un par un, et, chose rare, il ne m'a pas fait sa leçon sur l'importance du mur sur notre vie de tous les jours. Leçon d’ailleurs que je n’accepte pas. Je sais qu’Adelyna ne partage pas entièrement mon point de vue mais ça, par contre, je le comprends. Elle est arrivée à Labège camp à l’âge de 7 ans, est restée derrière le mur pendant cinq ans et est venue vivre à Labège le haut avec sa grand-mère, au moment de la désactivation du mur. Ah sa grand-mère, que nous tous, nous appelions Nénék, avant qu'elle ne disparaisse mystérieusement il y a deux ans ! Quelle personnalité ! Il parait qu’elle était la figure la plus importante du camp, mais je n’en ai pas su grand chose. L’arrivée d’Adelyna et de sa grand-mère ici a surpris beaucoup de monde, car la plupart des réfugiés climatiques, une fois leur temps de transit écoulé, sont acheminés comme ils sont venus (c’est-à-dire par les liaisons souterraines) là où ils peuvent être accueillis et sans avoir jamais rencontré d’autres personnes que celles autorisées à pénétrer dans le camp. Je parle bien sûr du temps où le mur était activé.

Comme d'habitude, Taïma a réussi à détendre l’atmosphère au bon moment. En effet, Jaume répondait à peine à mes réflexions sur le mur, certes un brin provocatrices, et Adelyna se taisait. Ma sœur n'a aucun goût pour les joutes intellectuelles (contrairement à Adelyna qui y excelle)  mais il faut lui reconnaître le don de relancer une soirée mal partie. Ainsi profitant d'un silence prolongé qui s'était établi entre nous et qui pouvait devenir gênant, Taïma nous a fait observer d’un ton enjoué que la lumière du soleil couchant était d'un jaune exceptionnel et que cet éclairage donnait à l'allée des palmiers, qui longe le bas de la colline, une touche magique. Je leur ai fait remarquer que nous-mêmes, ou nos enfants, pourront voir les Pyrénées de là où nous nous tenions comme le faisaient nos anciens, une fois que le cycle de dépollution de l’atmosphère sera terminé. Taïma m’a aussitôt coupé la parole, empêchant ainsi Jaume de réagir à cette position. Taïma a ainsi placé la conversation sur la ville et son organisation, sujets qui la passionnent. Adelyna et Jaume se sont détendus quelque peu et y ont participé avec un plaisir qui m’apparaît maintenant forcé. Taïma et Adelyna ont échangé ensuite quelques souvenirs communs. Puis Jaume nous a raconté sans son entrain habituel les anecdotes du lycée, qu’on connaît par cœur. Comme Adelyna y prenait visiblement du plaisir, je suis rentré dans le jeu et j’en ai moi aussi racontées et j’ai ainsi réussi à faire rire les filles. La soirée fut donc finalement assez agréable, quoique plutôt superficielle, contrairement à d’habitude.

La fin de soirée fut très curieuse. J’avais du m’absenter quelques instants pour répondre au visiophone à une question technique venant de l’équipe de nuit et quand je suis revenu à notre table, l’ambiance avait changé de tout au tout. Chacun se taisait. Jaume et Adelyna se regardaient d’une façon que je n’ai pas aimée. Taïma regardait ailleurs.  Je n’ai pas voulu interroger Adelyna sur son attitude lointaine vis-à-vis de moi pendant toute la soirée quand nous sommes rentrés chez nous. A la réflexion cela fait peut-être même quelque mois qu’elle prend de la distance. Mais pour l’instant ne pensons pas à cela, je dois me concentrer sur ce vol d’essai. Je lui parlerai sérieusement à mon retour, dans 10 jours.

 

TAÏMA

Que se passe-t-il ? Par quoi, ou par qui, Adelyna et Jaume sont-ils liés ? Que partagent-ils ? Que signifie ce regard si long, si profond, si étrange qu’ils ont échangé à la fin du repas, quand Adelyna a donné une petite enveloppe à Jaume qui en réponse lui en a donné une autre ? Que signifie ce silence pesant qui a accompagné cet échange ? Pourquoi Adelyna a-t-elle attendu qu’Alcide s’absente quelques instants pour l’enclencher ? Car je suis sûre qu’elle a attendu ce moment là…Oui, pourquoi ? Ces questions m’ont empêchées de dormir cette nuit ; j’ai eu beau les poser de différentes manières, je n’arrive pas à trouver une réponse qui me satisfasse. Ce n’est pas une histoire de sexe, ni une histoire d'amour. Je sais bien qu’Adelyna et Jaume ont eu une aventure il y a deux ans, Adelyna me l'a racontée dès qu’elle s’est déroulée. Elle m’a dit et redit que c’était une aventure sans lendemain et je la crois. Il y a donc autre chose, mais quoi ?

Ah, Alcide ! Comme il est pathétique ! Mon frère ne changera jamais. Il a commencé la soirée en nous annonçant avec fierté sa participation au vol d’essai qui reliera Toulouse à Djakarta en dirigeable. Il nous a parlé en long en large et en travers de son rôle dans ce trajet qui l’amènera à Yogyakarta. Il n’a pas vu qu’Adelyna, qui était déjà arrivée à notre rendez-vous étonnamment crispée, s’est encore tendue en entendant le nom de l’endroit où elle est née. Comme d’habitude, Alcide ne s’est aperçu de rien. Il a voulu nous communiquer son enthousiasme pour son voyage intercontinental et pour son système de commande de vol en particulier, alors que l’ère de l’aéronautique, naguère toute puissante, touche à sa fin, précisa-t-il inutilement puisque tout le monde le sait, concluant abruptement son propos sur sa vision optimiste de notre avenir maintenant que la plupart des grandes difficultés de l’humanité, que nous connaissons tous, ont presque été toutes résolues ; et il a rappelé en vrac celles qui lui venaient à l’esprit :  l’assèchement définitif des énergies fossiles, la pollution atmosphérique insoutenable, le déplacement massif de population du au réchauffement climatique, la gestion des déchets (pas uniquement nucléaires) enfouis sous terre, l’inutilisation subite de l’espace due au fameux « crash domino » (du aux collisions en cascade des satellites en orbite basse qui en se heurtant les uns les autres ont généré un bouclier de débris infranchissable pour des dizaines d’année), l’impuissance politique, la dernière guerre. Tout ça, nous a-t-il dit, est maintenant derrière nous. Jaume, étonnamment, n’a pas réagi à cette vision optimiste de l’avenir portée par mon frère qu’il ne partage évidem

ment pas. Je ne sais pas qui a raison entre Alcide et Jaume. En fait, leurs discussions politiques ne m’intéressent pas. Je préfère me concentrer sur les personnes qui m’entourent et agir au mieux en interaction avec eux plutôt qu'en fonction de principes ou de doctrines qui ont fait tant de mal dans le passé et qu’on ne maîtrise pas dans le présent.

Je me suis mise ainsi à parler de l’urbanisme de Labège une fois que la conversation d'Alcide a tourné au monologue pathétique. Je n’ai pas voulu parler des travaux en cours qui transformeront petit à petit l'ancienne zone des réfugiés climatiques en un des plus importants points nodaux de l’Europe du Sud (point de rencontre et de distribution des personnes, des biens, des énergies et des déchets). C’est d’ailleurs de là que partira demain Alcide. J’ai donc préféré parler des dernières nouvelles concernant notre ville de Labège : d’abord l’agrandissement de ce tapis roulant des plus ingénieux, bordé de palmiers, qui nous amène au prochain point nodal, sur lequel débouchent les tapis roulants secondaires qui quadrillent presque toute la ville. Labège le bas n’est bien sûr pas quadrillé comme Labège le haut, car le centre historique (l’église, le parc, la place, les vieilles bâtisses) a été préservé lors des travaux gigantesques du siècle dernier effectués après une refonte complète de l’occupation des sols ; ces travaux ont conduit au Labège de maintenant, celui que nous connaissons, caractérisé par ses habitations élancées surmontées de leurs terrasses végétales et ses structures collectives distribuées de chaque côté de l’allée des palmiers tandis que les hibiscus et les bougainvilliers distribués dans toute la ville, encore en fleurs en ce mois novembre, apportent de chaudes couleurs et d'agréables senteurs. 

J’ai enfin réussi à détendre réellement l’atmosphère quand j’ai abordé les souvenirs qu’Adelyna et moi partageons.  Adelyna est rentré dans mon jeu sans beaucoup d’entrain, comme si elle s’y sentait obligée. J’ai passé sous silence les deux premières années qui ont suivi son arrivée à Labège où elle ne parlait pas, pour mettre en avant la connivence, tellement forte, que nous avions quand nous étions adolescentes et qui nous a amené à conduire des actions dont nous ne parlerons à personne. Jaume a mis son grain de sel et nous a raconté ses histoires de professeur les plus savoureuses qu’on aime toujours réentendre, mais, lui aussi, sans grande conviction. Alcide est rentré dans notre jeu en racontant les siennes. Adelyna s’est senti obligée de rire. J’ai fait comme elle pour que sa gêne ne se voit pas. Je pensais avoir définitivement sauvé la soirée quand Alcide s’est éloigné pour répondre à son visiophone et le visage d’Adelyna s’est figé soudainement, elle a fixé Jaume du regard longuement, très longuement, les traits de Jaume se sont brusquement tendus, Adelyna s’est penché sur le côté, a ouvert son sac, a pris une petite enveloppe, l’a donnée à Jaume, qui ne disait toujours rien, le temps parut comme suspendu, je n’étais plus là pour eux, leurs regards étaient rivés l'un sur l'autre, personne ne parlait, l’enveloppe changea de mains. Jaume la fit disparaître dans la poche intérieure de sa veste tout en continuant à regarder Adelyna, sortit une enveloppe un peu plus grande d'une autre poche, la tendit à Adelyna qui la prit. Aucun mot n'avait été échangé.

Alcide est revenu tout excité, remarquant à peine la situation. Mais que s’est-il passé réellement  entre Adelyna et Jaume ? Pourquoi Adelyna a-t-elle failli pleurer quand elle m’a serré dans ses bras en me disant au revoir d’une voix étranglée ?

 

ADELYNA

Sayangku,

Quand tu liras cette lettre, à ton retour, je serai partie pour toujours. Je disparais comme a disparu Nénék la mère de ma mère, il y a deux ans. Souviens toi comme nous l'avons cherchée partout. En vain. Alcide, Alcide, mon chéri, sayangku, nous vivrons dorénavant chacun de notre côté avec la part que l'autre a mis en nous. Ne me cherche pas. Nos chemins étaient appelés à se séparer un jour ou l'autre et le moment est venu. Alcide, es-tu vraiment surpris de ce qui arrive ? Je ne le crois pas. Ne te fais pas du mal en pensant que je pars pour un autre car cela n'est pas. Nous nous retrouverons si tu fais le chemin ...

Aku cinta padamu.

Adelyna

Alcide ne lira pas cette lettre, d’ailleurs bien trop courte pour lui être donnée, car je l’aurais détruite avant de partir loin d’ici, en même temps que cet écrit, comme me l’a bien signifié Nénék : « ne laisse aucune trace derrière toi si tu acceptes ma proposition». Quel choc de revoir ma grand-mère bien aimée, moi qui la pensais morte, après sa disparition inexpliquée ! Ces retrouvailles bouleversantes ont eu lieu il y a 6 mois chez Jaume, qui m’avait invitée à passer chez lui d’une façon très étrange en me demandant de n’en rien dire à personne. J'ai une entière confiance en Jaume et j'ai donc suivi ses consignes à la lettre. L’amitié qui nous lie est plus belle que notre brève histoire d’amour, que j’ai eu raison d’arrêter rapidement car elle ne menait nulle part. Jaume a accepté ma décision avec dignité, mais je sais que cette décision l'a d'autant plus meurtri que je l'ai quitté pour m’installer avec Alcide. Ah Alcide, Alcide ! Si tu avais pu faire sauter la barrière qui est en toi, si tu avais pu canaliser cette magnifique énergie que tu abrites pour en faire œuvre de vie, si tu avais su  te mettre à l'écoute et entendre les signes que je t'ai donnés depuis que j'ai retrouvé Nénék, peut-être que je n'aurai pas pris cette décision. Tu ne sauras jamais combien ces derniers mois furent pénibles pour moi, passant d'un état à l'autre au fur et à mesure des révélations que Nénék me faisait lors de nos rencontres régulières, toujours secrètes et toujours chez Jaume qui y participait quand Nénék le décidait ; ainsi l'incompréhension et la confusion  se sont d'abord mélangées à la colère et à la tristesse, puis l'angoisse et la peur qui m'étreignirent quand Nénék me fit sa proposition il y a environ une semaine, en ayant demandé au préalable à Jaume de nous laisser seules, et me dit : « Voilà ce que nous te proposons. Et maintenant, mon baiby, c’est à toi de choisir. Je pars demain et je ne reviendrai plus jamais ici. Réfléchis à tout ce que je t’ai dit. Donne ta réponse à Jaume  avant la fin de la semaine prochaine. Tu trouveras dans l’enveloppe la biopuce à remplir. Si tu choisis de nous rejoindre, mets y les informations te concernant, donne la à Jaume et fais ce que tu as à faire en fonction de ce qu'il te remettra. Et bien sûr ne laisse aucune trace derrière toi.»

Alcide, Alcide, tu n'as rien ressenti de la véritable nature de mon malaise de ces dernières semaines. Tu as simplement vu que je n'étais pas dans mon état habituel, sans en chercher véritablement les raisons. Ton énergie, ta volonté, ta joie de vivre, ton allant qui m'avaient tant aidée, et que j'ai tant aimés, quand nous nous sommes installés ensemble m'ont parus que pour ce qu'il sont : des pans pathétiques d'un aveuglement profondément stérile. Tes paroles sur le mur me firent mal. Tu n'avais donc rien compris à ce que je t'avais, si difficilement, raconté. Je sais que tu forçais ta position, que tu cherchais une joute intellectuelle, comme cela nous est arrivé plusieurs fois et à laquelle j'y participais, toujours de  mauvaise grâce sans que tu t’en rendes compte. Le mur désactivé officiellement il y a 10 ans restera encore bien longtemps dans nos esprits comme tente de l'expliquer Jaume à qui veut bien l'entendre. Nénék m'a appris ces derniers mois que le mur n'avait été activé que les premiers mois après notre dramatique rapatriement, juste le temps qu'il tue deux ou trois enfants de mon âge, et que cela étant et se sachant, personne, d'un côté et de l'autre du mur n'ait de velléité pour s'en approcher. Nénék, elle, le savait. Elle m'a beaucoup parlé de ce temps si proche et si lointain à la fois et m'as fait comprendre pourquoi je me suis tue à mon arrivée au camp et à mon départ.

Alcide, ta fierté de participer au premier vol du « Limasawa » est légitime mais illusoire, signe du chemin qui te reste à parcourir et sur lequel je pensais jusqu'à hier soir pouvoir t'accompagner. J'ai ri de bonne grâce à tes sottises de fin de soirée, alors que je suis sûre que Taïma pensait que je me forçais ; je venais de réaliser que, seul mon départ pouvait être le choc salutaire pour te permettre de sortir de ton aveuglement. Ton chemin sera long et si tu y réussis, nous nous retrouverons. Alors l'échange des enveloppes, devenu inéluctable, se réalisa quand tu t'absentas pour répondre à ton visiophone, l'angoisse et la peur me saisissant subitement quand je vis le regard terrorisé de Jaume que je soutins malgré tout. Je sais que Taïma, qui restera ma première amie, qui m'a tellement aidée en arrivant à Labège pour sortir de mon mutisme, ne fera jamais le chemin que tu peux faire, Alcide, car son caractère ne s’y prête pas. Taïma est donc perdue pour moi. C'est pourquoi j'ai pleuré en lui disant au revoir.

Maintenant il me reste à ouvrir l'enveloppe que Jaume m'a remise et suivre les consignes qui y sont notées. Je sais que la première sera de détruire les écrits que je viens de faire.

 

JAUME

L'enveloppe que m'a remise Adelyna est là, sous mes yeux, fermée. Je tiendrai ma promesse  et ne l'ouvrirai pas. Je l'apporterai demain, à l'heure et à l'endroit convenus afin qu'elle parvienne jusqu'à Nénék. J'avais sur moi depuis une semaine une enveloppe pour Adelyna que je ne devais lui remettre que si elle-même m'en donnait une. J'attendais ce moment avec crainte car je savais, Nénék me l'avait dit, que si l'échange s'opérait, Adelyna partirait de Labège pour ne plus y revenir. J'espérais qu'il ne survint pas, mais il eut lieu hier, à l'occasion de la soirée passée avec Alcide et Taïma et ce moment fut encore plus dur que je ne l'avais redouté.

Je viens de vivre ces derniers mois comme un rêve, et la fin de notre soirée de hier comme un cauchemar. Quand je vis Nénék dans mon salon il y a six mois, assise sur mon canapé, dotée d'un sourire magnifique, rentrée chez moi à mon insu,  je faillis tomber à la renverse car, comme tout le monde ici, je la croyais morte. Quand je repris mes esprits, je fus saisi par son impassibilité et par la force rayonnante qui émanait de la grand-mère d'Adelyna, la figure emblématique du dernier camp des réfugiés, avec laquelle j'eus de nombreuses discussions quand elle vint s'installer ici, et en particulier sur le mur. La Nénék qui revenait n'était pas celle qui était partie. Cette dame de 80 ans, dans la pleine force de sa grande maturité, dégageait une autorité naturelle sur les personnes qui l'accompagnaient, étranges et discrètes, qui semblaient lui organiser des rendez-vous  comme ceux qui se passaient chez moi avec Adelyna et auxquels j'y participai quand Nénék me l'autorisait.

J'appris avec stupeur que le frontisme n'était pas mort, que ce mouvement descendant du fascisme qui avait gagné la planète après la fin de la guerre du Caucasse, qui elle-même avait succédé à la guerre du proche orient, n'avait pas été éradiqué par nos grands-parents lorsqu'ils mirent en place la gouvernance globale, comme je l'enseignai à mes élèves. Ce que je redoutai et que j'essayai de combattre à mon niveau en enseignant la vigilance et l'esprit de résistance ancré chez nos anciens à mes élèves était survenu. Je compris que Nénék connaissait parfaitement les rouages de la nébuleuse gouvernance globale, qu'elle en faisait même peut-être partie, sachant que personne ne connaît nos dirigeants globaux. J'appris que Nénék partageait mon analyse de l'importance des murs dans l'histoire des hommes, les plus néfastes n'étant pas forcément ceux que nous voyons ou avons vus. Je basculais ainsi ces derniers mois dans un état second dont je ne suis sorti que hier soir lors de notre échange d'enveloppes avec Adelyna. D'un côté je recevais certainement les caractéristiques biologiques qu'Adelyna avait enregistrés dans la biopuce qui allaient lui permettre de rentrer dans le cercle très fermé des « Combattants de l'Ombre », dont Nénék ne pouvait être qu'une dirigeante  importante, et de l'autre côté je lui remettais sa feuille de route dont la première instruction, je le savais, était de quitter Labège sans laisser de traces. Au moment où Adelyna me tendit son enveloppe, la monstruosité de cet engagement m'aveugla et une terreur horrible m'étreignit. J'eus à cet instant précis l'intuition que le combat auquel allait participer Adelyna en première ligne allait être un des plus terribles de l'Histoire. Mes intuitions concernant le véritable état de la planète dont nous avons héritée, et la présence des forces du mal au plus niveau étaient bien au-delà de ce que j'avais imaginés. Et les forces qui se mettaient en place pour tenter de sauver ce qui pouvait encore l'être avaient engagé Adelyna et me laissaient de côté, moi, l'homme qui l'aime, me laissant dans le rôle de médiateur, que Nénék m'avait dit primordial dans le combat mais qui m'interdisait de m'impliquer davantage comme je le lui demandais ardemment plusieurs fois.

Que vais-je faire, oh mon créateur ?

Eh bien, je n'en sais rien, mon pauvre Jaume. J'arrête là ton histoire. Tu m'as donné assez de fil à retordre pour cerner ton rôle et t’utiliser pour embraser la fin du récit. D'aucun jugera cette histoire un peu compliquée et la fin un tantinet ampoulé. D'autres regretteront que le Labège du futur ne soit pas assez décrit, que le mur électromagnétique qui tue des enfants (quelle aberration!) aurait pu être davantage explicité, que l'auteur aurait pu faire l'effort de donner un peu plus de chair et de panache à ses personnages, que son écriture gagnerait à être plus riche, ses descriptions plus puissantes etc .. etc ... A  tous ceux-là, je dis stop ... vous n'aviez qu'à venir à cet atelier d'écriture et on vous aurait vu à l'œuvre. Non mais.

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